La cour administrative d’appel de Nancy a rendu le 19 décembre 2024 une décision précisant les critères d’évaluation de la valeur locative des établissements industriels. Une société spécialisée dans la menuiserie exploitait des locaux comprenant des ateliers et des entrepôts afin de stocker puis poser des matériaux chez ses clients. L’administration fiscale a rectifié les bases d’imposition à la taxe foncière et à la cotisation foncière des entreprises en appliquant la méthode d’évaluation comptable du code général des impôts. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté les demandes de décharge par un jugement du 25 mai 2022 dont la société a interjeté appel devant la cour. La requérante soutient que ses installations techniques ne jouent pas un rôle prépondérant car l’essentiel de son activité consiste en des prestations de pose extérieures. Le juge devait déterminer si l’importance des moyens matériels présents dans les locaux imposables justifiait la qualification d’établissement industriel malgré une activité de négoce majoritaire. La juridiction décline sa compétence pour la taxe foncière mais confirme l’application de la méthode comptable en raison de la valeur importante des machines utilisées.
I. La délimitation rigoureuse de la compétence d’appel en matière fiscale
A. Le principe de la décision en dernier ressort pour les impôts locaux
L’article R. 811-1 du code de justice administrative dispose que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux. Cette règle exclut normalement la compétence des cours administratives d’appel pour connaître des contestations portant sur la taxe foncière sur les propriétés bâties des entreprises. La société requérante a sollicité la réduction de ses cotisations primitives établies au titre des années 2018 et 2019 par devant le juge de premier ressort. Le tribunal ayant statué souverainement sur ce point, le jugement n’était susceptible que d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État selon les règles procédurales.
La cour administrative d’appel de Nancy constate ainsi son incompétence pour statuer sur les conclusions relatives à la taxe foncière malgré l’existence d’une requête d’appel globale. Elle rappelle que la nature de l’impôt détermine les voies de recours ouvertes aux contribuables sans que la stratégie contentieuse des parties puisse modifier ces règles d’ordre public. L’ordonnance de transmission des conclusions au Conseil d’État assure le respect des degrés de juridiction tout en garantissant le droit à un recours effectif pour l’entreprise. Cette séparation stricte des litiges fiscaux au sein d’une même instance complexifie la défense des intérêts des propriétaires fonciers lors de redressements touchant plusieurs impositions.
B. L’attractivité limitée de la compétence d’appel par voie de connexité
Le code de justice administrative prévoit une exception permettant l’appel en cas de connexité avec un litige portant sur la contribution économique territoriale d’un même contribuable. Cette dérogation s’applique lorsque les deux impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée au cours de la même année civile. Les juges vérifient scrupuleusement si les périodes de référence pour la taxe foncière et la cotisation foncière des entreprises coïncident selon les dispositions de la loi. En l’espèce, les années d’imposition contestées ne permettaient pas d’établir ce lien temporel direct nécessaire pour justifier la compétence d’appel pour l’ensemble du dossier fiscal.
La cour écarte l’extension de sa compétence car les bases d’imposition ne reposaient pas sur des valeurs de biens appréciées de manière identique durant les mêmes exercices fiscaux. Cette interprétation littérale des textes limite fortement les possibilités de juger l’intégralité d’un litige local par un seul et unique arrêt de la juridiction d’appel administrative. Le fractionnement du contentieux oblige le requérant à suivre des procédures parallèles devant des ordres de juridiction différents pour des faits pourtant issus d’une même vérification comptable. L’arrêt confirme que la connexité procédurale demeure une exception d’interprétation stricte dont les conditions de mise en œuvre ne souffrent aucune approximation de la part des plaideurs.
II. L’identification matérielle du caractère industriel des locaux d’exploitation
A. La prépondérance des installations techniques au sein de l’ensemble immobilier
La qualification d’établissement industriel repose sur la mise en œuvre d’importants moyens techniques, que l’activité consiste en la transformation de biens ou en une prestation différente. La juridiction précise que le caractère industriel est retenu lorsque « le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d’une autre activité, est prépondérant ». La société disposait d’ateliers de menuiserie occupant plus de trente pour cent de la superficie totale de ses locaux situés dans la commune de Troyes. La valeur comptable de l’outillage inscrit au bilan dépassait le million d’euros, illustrant l’intensité capitalistique nécessaire au fonctionnement quotidien de ce site de production.
Le juge administratif souligne que la moitié de l’effectif salarié présent sur le site était affectée directement à des tâches de fabrication et d’ajustage des produits manufacturés. Ces éléments factuels caractérisent la prépondérance des moyens matériels dans la conduite des opérations réalisées au sein du bâtiment, indépendamment de l’activité commerciale globale exercée. L’administration fiscale a justement appliqué la méthode d’évaluation comptable prévue par l’article 1499 du code général des impôts au détriment de la méthode par comparaison. La matérialité de l’exploitation l’emporte sur les qualifications purement comptables ou les dénominations sociales pour la détermination de la valeur locative cadastrale des immobilisations industrielles.
B. L’autonomie de la qualification industrielle au regard de l’activité globale
La société requérante contestait la méthode comptable en arguant que la pose de menuiseries effectuée chez les clients constituait l’essentiel de son chiffre d’affaires annuel. Elle estimait que la fonction de stockage et l’activité de fabrication dans ses ateliers restaient accessoires par rapport aux chantiers extérieurs menés par ses autres ouvriers. La cour rejette ce raisonnement en concentrant son analyse sur la nature des activités exercées exclusivement « dans les locaux litigieux » pour qualifier l’ensemble immobilier. Le caractère industriel s’apprécie au regard des fonctions assurées dans les murs du bâtiment imposé et non à l’échelle de l’entreprise prise dans sa globalité.
L’établissement ne peut échapper à la taxe professionnelle industrielle si les installations matérielles et l’outillage jouent un rôle majeur dans la préparation des éléments destinés à la vente. La juridiction administrative maintient une vision locale de l’assiette fiscale afin de préserver la cohérence de l’évaluation des propriétés bâties selon leur usage technique effectif. Cette décision confirme une jurisprudence constante qui sépare la qualification du local de la structure économique générale de la personne morale exploitante pour des motifs d’équité fiscale. La protection du contribuable contre une surimposition se heurte ici à l’importance objective des moyens de production lourds indispensables à son processus industriel spécifique.