Cour d’appel administrative de Marseille, le 25 mars 2025, n°24MA01478

Par un arrêt rendu le 25 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille précise les conditions de la responsabilité de l’État suite à des inondations majeures. Deux propriétaires d’une maison individuelle située dans un lotissement ont subi des préjudices matériels lors des crues du Rhône en septembre 2002 et en décembre 2003. Après le rejet de leur demande indemnitaire par le tribunal administratif de Marseille le 11 avril 2024, les requérants ont interjeté appel devant la juridiction supérieure. La question posée au juge consistait à déterminer si les caractéristiques exceptionnelles de la crue de 2003 constituaient un cas de force majeure exonératoire pour la puissance publique. Il convenait également de rechercher si un défaut d’entretien des ouvrages publics ou une faute dans la délivrance du permis de construire engageaient la responsabilité étatique. La juridiction d’appel confirme le jugement de première instance en considérant que l’événement de 2003 présentait les caractères de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité. Elle écarte parallèlement toute faute de l’administration dans l’élaboration des documents d’urbanisme ou dans l’entretien des ouvrages fluviaux au regard des connaissances de l’époque.

I. La reconnaissance de la force majeure et l’exclusion de la responsabilité pour dommages de travaux publics

A. La caractérisation nuancée des événements météorologiques exceptionnels

La Cour distingue les deux épisodes climatiques pour apprécier l’existence d’une cause étrangère libérant l’État de ses obligations de réparation envers les administrés. Pour l’inondation de 2002, les juges estiment que l’événement ne présentait pas un « caractère de violence imprévisible constituant un cas de force majeure » malgré son intensité réelle. En revanche, l’épisode de décembre 2003 est qualifié de « sans précédent » au regard des événements pluviométriques historiques connus depuis plus de deux siècles. Cette crue exceptionnelle, aggravée par une tempête marine freinant l’écoulement des eaux, constitue une conjonction de phénomènes imprévisibles justifiant l’exonération de la puissance publique. Le juge administratif consacre ainsi une application rigoureuse des critères classiques de la force majeure pour les phénomènes naturels d’une ampleur hors du commun.

B. L’absence de lien de causalité avec les ouvrages publics fluviaux

Les requérants invoquaient le régime de responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics en raison de l’existence et du fonctionnement des ouvrages de protection. Cependant, la Cour souligne qu’ils n’établissent aucun « lien de causalité entre un ouvrage public identifié, dont l’État serait le gardien, et les dommages » subis par leur propriété. La simple mention du débordement des canaux d’irrigation ou du mauvais entretien général du fleuve reste insuffisante pour caractériser un manquement technique précis. Le juge rappelle que la preuve d’un lien direct et certain demeure impérative pour engager la responsabilité du maître d’ouvrage envers les tiers. L’argumentation reposant sur une succession d’affirmations générales concernant l’aménagement hydraulique du Rhône ne permet pas de renverser la présomption de bon entretien.

II. L’écartement de la responsabilité pour faute liée à l’urbanisme et à la police de l’eau

A. L’inexistence d’une carence fautive dans l’exercice des pouvoirs de police

La responsabilité pour faute de l’État est également recherchée sur le terrain d’une prétendue carence dans l’exercice de la police spéciale de l’eau. Les appelants soutenaient que l’administration avait manqué à ses obligations d’entretien et de curage du lit domanial du Rhône avant les crues litigieuses. La Cour rejette cette argumentation au motif que les experts n’ont relevé aucun « lien de causalité entre l’intervention des services de l’État et les phénomènes d’inondations ». L’imprécision des griefs relatifs à la gestion contractuelle des ouvrages publics empêche de retenir une quelconque faute de la part des services préfectoraux. Le juge administratif souligne que les missions de contrôle et de conception ont été exercées conformément aux prescriptions réglementaires et aux consignes de sécurité.

B. La légalité des autorisations d’urbanisme au regard des risques connus

Enfin, la validité du permis de construire délivré en 1983 est contestée au regard des risques d’inondation potentiels identifiés dans la vallée du Rhône. La Cour considère que l’État n’a commis aucune faute en accordant cette autorisation sans prescriptions spéciales fondées sur les dispositions du code de l’urbanisme. À l’époque des faits, le terrain était classé en zone de sécurité selon le plan des surfaces submersibles approuvé par un décret ministériel. En l’état des connaissances scientifiques disponibles en 1983, l’administration pouvait légitimement autoriser la construction sans méconnaître gravement les impératifs de sécurité publique. L’absence d’illégalité fautive lors de la délivrance de l’acte administratif fait ainsi obstacle à toute indemnisation des préjudices résultant des inondations ultérieures.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture