Conseil constitutionnel, Décision n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018

Le Conseil constitutionnel a rendu le 26 juillet 2018 une décision majeure relative à la loi sur la protection du secret des affaires. Ce texte transpose en droit interne une directive européenne de 2016 visant à sécuriser les informations commerciales non divulguées par les entreprises. Plusieurs députés et sénateurs ont contesté de nombreuses dispositions introduites dans le code de commerce devant les juges de la rue de Montpensier. Les requérants invoquaient principalement une méconnaissance de la liberté d’expression, de la liberté d’entreprendre et de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi. La question centrale portait sur l’équilibre entre la protection des intérêts économiques et le droit à l’information des citoyens et des travailleurs. Le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel du texte en précisant les conditions de son contrôle sur les lois de transposition des directives.

**I. L’encadrement du contrôle de constitutionnalité lors de la transposition**

**A. Le rappel des limites inhérentes à l’exigence constitutionnelle de transposition**

En s’appuyant sur l’article 88-1 de la Constitution, le Conseil rappelle que la transposition d’une directive constitue une exigence de valeur constitutionnelle. Le juge précise que son contrôle est strictement limité aux dispositions législatives qui ne se bornent pas à tirer les conséquences d’une norme précise. « La transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ». En l’espèce, les sages estiment que la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre trouvent des garanties équivalentes dans le droit de l’Union européenne. Ils refusent donc de contrôler la validité des articles reproduisant fidèlement les termes inconditionnels de la norme européenne applicable au litige. Cette réserve de compétence protège la cohérence de l’ordre juridique communautaire tout en préservant le noyau dur des principes fondamentaux français.

**B. La validation constitutionnelle des critères de définition du secret**

L’article L. 151-1 du code de commerce fixe trois critères cumulatifs pour caractériser une information protégée par le nouveau régime du secret des affaires. L’information doit rester secrète, posséder une valeur commerciale spécifique et faire l’objet de mesures de protection raisonnables de la part de son détenteur. Les requérants critiquaient une définition jugée trop large et imprécise, susceptible de couvrir des données d’intérêt général comme les pratiques fiscales ou environnementales. Le Conseil écarte ce grief en soulignant que le législateur a simplement repris les termes exacts de la directive européenne du 8 juin 2016. La condition relative aux mesures de protection raisonnables est jugée conforme à la liberté d’entreprendre car elle s’apprécie selon les circonstances. Cette interprétation souple permet aux petites entreprises de bénéficier de la protection sans supporter des coûts de sécurisation disproportionnés par rapport à leur taille.

**II. La conciliation entre protection économique et libertés publiques**

**A. La garantie des exceptions au profit des lanceurs d’alerte et des journalistes**

L’article L. 151-8 prévoit que le secret n’est pas opposable lorsque la divulgation vise à révéler une activité illégale dans un but d’intérêt général. Les juges affirment que le législateur a défini cette exception en des termes suffisamment précis pour garantir l’exercice légitime du droit d’alerte. « Cette exception bénéficie non seulement aux personnes physiques exerçant le droit d’alerte mais aussi à toute autre personne ayant agi dans ces conditions ». Cette formulation large sécurise le travail des journalistes d’investigation sans qu’il soit nécessaire de mentionner expressément leur profession dans le texte législatif. Le Conseil estime que la liberté d’expression est préservée car les exceptions prévues couvrent l’essentiel des situations de communication légitime des pensées. Le secret des affaires ne peut donc faire obstacle à la révélation de comportements répréhensibles ou de fautes commises au sein des organisations.

**B. La protection du droit à l’information des travailleurs et de l’innovation**

Les représentants des salariés craignaient qu’une interprétation restrictive de la loi n’entrave leur droit à l’information et à la consultation sur la gestion interne. L’article L. 151-9 précise toutefois que le secret n’est pas opposable lors des échanges nécessaires à l’exercice légitime des fonctions des délégués. Le Conseil constitutionnel valide ces dispositions en rappelant le huitième alinéa du Préambule de 1946 relatif à la participation des travailleurs à la gestion. Les informations obtenues légalement peuvent être utilisées sous réserve de ne pas être divulguées à des tiers extérieurs à la mission représentative. Cette solution assure une protection efficace du savoir-faire de l’entreprise tout en maintenant la transparence nécessaire au bon fonctionnement du dialogue social. L’équilibre ainsi trouvé évite de paralyser les capacités d’innovation tout en respectant les exigences constitutionnelles liées à la démocratie économique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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