1ère chambre du Conseil d’État, le 8 juillet 2025, n°501970

Le Conseil d’État a rendu, le 8 juillet 2025, une décision relative aux conditions de légalité de l’exercice du droit de préemption urbain par une autorité municipale. Une acheteuse évincée a sollicité la suspension d’un arrêté municipal portant exercice du droit de préemption sur deux parcelles dont elle s’était portée acquéreuse. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande par une ordonnance rendue le 12 février 2025. L’intéressée s’est alors pourvue en cassation devant la Haute Juridiction administrative afin d’obtenir l’annulation de cette ordonnance et la suspension de l’arrêté. La requérante soutient que la réalité du projet d’aménagement n’était pas suffisamment établie à la date de la décision de préemption litigieuse. Le litige soulève la question de savoir si des motifs généraux d’intérêt général suffisent à justifier légalement une préemption sans projet concret préexistant. Le Conseil d’État annule l’ordonnance attaquée car le premier juge a dénaturé les pièces en validant une décision dépourvue de base factuelle précise. L’analyse portera d’abord sur l’exigence de précision du projet d’aménagement avant d’étudier les conditions de la suspension de la décision de préemption.

I. L’exigence de réalité d’un projet d’aménagement concret

A. La nécessité d’une justification matérielle et juridique

Les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit si elles justifient de la réalité d’un projet d’action. L’autorité administrative doit faire apparaître la nature de cette opération d’aménagement dans sa décision pour en assurer la parfaite légalité. Cette obligation garantit que la puissance publique n’agit pas de manière discrétionnaire au détriment de la liberté contractuelle des acquéreurs privés. L’intérêt général de l’opération doit être suffisant au regard des caractéristiques du bien et du coût prévisible de l’action publique projetée. La décision doit ainsi mentionner l’objet précis pour lequel ce droit est exercé conformément aux dispositions impératives du code de l’urbanisme.

B. La sanction de la dénaturation opérée par le juge du référé

Le Conseil d’État censure l’ordonnance pour dénaturation des pièces par le magistrat ayant statué initialement sur la demande de suspension. Les motifs invoqués par le maire portaient sur la lutte contre l’habitat insalubre et la mixité sociale sans aucune précision complémentaire. Le juge relève que « ces références ne renvoient à aucun projet concret ni ne reposent sur aucune délibération du conseil municipal » décidant d’engager ces actions. L’absence d’acte administratif antérieur définissant les modalités de mise en œuvre du projet fragilise la base légale de la préemption. La Haute Juridiction rappelle que des intentions vagues ne sauraient pallier l’absence d’un projet d’aménagement effectivement défini et préalablement délibéré.

II. La protection des droits de l’acquéreur évincé par la suspension

A. La présomption d’urgence au profit du demandeur

Le juge des référés peut ordonner la suspension d’un acte administratif lorsque l’urgence le justifie et qu’un doute sérieux existe. En matière de préemption, la condition d’urgence est en principe regardée comme remplie lorsque l’acquéreur évincé demande la suspension de l’exécution. Cette présomption protège l’acheteur contre la perte irrémédiable du bien immobilier qu’il souhaitait acquérir selon les termes du contrat initial. Le titulaire du droit de préemption peut renverser cette présomption en justifiant de circonstances particulières liées à l’intérêt du projet. En l’espèce, l’autorité municipale n’a pas démontré la nécessité de réaliser son opération dans des délais rapides pour écarter l’urgence.

B. L’absence de projet d’action répondant aux exigences légales

Le Conseil d’État estime qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté municipal au regard de l’instruction menée. Les justifications liées au logement des militaires ne sont étayées par aucun document opérationnel précis concernant les parcelles effectivement préemptées. Le juge constate que les terrains concernés ne se trouvent dans aucun des secteurs fonciers devant accueillir ces logements spécifiques. La seule référence aux objectifs généraux d’un programme local de l’habitat ne suffit pas à établir la réalité de l’opération projetée. L’exécution de la décision de préemption est par conséquent suspendue jusqu’à ce que la juridiction statue au fond sur sa légalité.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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