Tribunal judiciaire de Nice, le 20 juin 2025, n°21/02179
Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nice le 20 juin 2025 s’inscrit dans un contentieux récurrent du droit de la copropriété, celui de la responsabilité du syndic à l’égard des copropriétaires pris individuellement. Une société, propriétaire d’un lot de combles dans lequel était installé le bloc moteur de la ventilation mécanique contrôlée de l’immeuble, reprochait au syndic d’avoir méconnu une clause du règlement de copropriété l’exonérant du paiement des charges tant que son lot n’était pas occupé.
Les faits sont les suivants. La demanderesse était propriétaire du lot numéro 123 constitué de combles au sein d’une copropriété niçoise. Le règlement de copropriété, modifié par acte notarié du 30 juillet 1996, contenait un article 20 aux termes duquel les propriétaires de tous les lots ne paieraient pas les charges de copropriété, à l’exception des honoraires du syndic et des assurances, tant que leurs lots n’auraient pas été occupés pour la première fois. La demanderesse soutenait que son lot, intégralement occupé par un équipement commun, n’avait jamais pu être occupé et qu’elle devait bénéficier de cette exonération.
Le syndicat des copropriétaires avait préalablement assigné cette société en paiement de ses charges. Par jugement du 27 janvier 2021, le tribunal de grande instance de Nice l’avait condamnée à régler la somme de 23 220,23 euros. Sur appel, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait confirmé cette condamnation par arrêt du 25 mai 2023, en réduisant toutefois le montant à 20 791,30 euros. Le pourvoi formé contre cet arrêt avait fait l’objet d’une ordonnance de déchéance le 11 janvier 2024, rendant la décision définitive.
Par acte du 28 mai 2021, la société propriétaire avait fait assigner le syndic sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Elle sollicitait 15 000 euros de dommages-intérêts et la rectification de son compte sous astreinte. Le syndic concluait au débouté et formait une demande reconventionnelle pour procédure abusive.
La question posée au tribunal était double. Le syndic avait-il commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle en appelant des charges auprès d’un copropriétaire qui se prévalait d’une clause d’exonération du règlement de copropriété ? L’action engagée contre le syndic présentait-elle un caractère abusif ?
Le tribunal déboute la société demanderesse de l’ensemble de ses prétentions. Il rejette également la demande reconventionnelle du syndic pour procédure abusive. La société demanderesse est condamnée aux dépens et à verser 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision appelle un commentaire articulé autour de deux axes. L’autorité de chose jugée neutralise la caractérisation de la faute du syndic (I). Le rejet de la demande reconventionnelle pour procédure abusive préserve le droit d’agir en justice (II).
I. L’autorité de chose jugée, obstacle à la caractérisation de la faute du syndic
Le tribunal rappelle le fondement de la responsabilité délictuelle du syndic à l’égard des copropriétaires (A), avant de constater que l’arrêt définitif antérieur prive la faute alléguée de tout fondement (B).
A. Le rappel du régime de responsabilité délictuelle du syndic
Le tribunal énonce que « les copropriétaires qui supportent un préjudice spécifique sont fondés à mettre en cause la responsabilité du syndic sur le fondement, non pas des dispositions relatives au mandat puisque le syndic n’est pas le mandataire de chaque copropriétaire, mais des dispositions des articles 1240 et suivants du code civil ». Cette qualification est classique. Le syndic n’est mandataire que du syndicat des copropriétaires, personne morale distincte de ses membres. Le copropriétaire individuel ne peut donc invoquer les articles 1991 et 1992 du code civil relatifs à la responsabilité du mandataire.
Le tribunal précise les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité. Le copropriétaire « doit notamment établir l’existence d’un préjudice direct et personnel, indépendamment de celui éprouvé par la copropriété ». Cette exigence d’un préjudice distinct de celui du syndicat constitue une application rigoureuse du droit commun de la responsabilité civile. Le copropriétaire ne saurait se prévaloir d’un préjudice collectif pour fonder une action individuelle.
Le tribunal rappelle également que « le fait, pour le syndic, de procéder à une répartition des charges qui contrevient aux dispositions du règlement de copropriété constitue une faute du syndic qui engage sa responsabilité personnelle ». Cette affirmation de principe découle directement de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Le syndic est chargé d’assurer l’exécution des dispositions du règlement de copropriété. Une répartition non conforme caractérise un manquement à cette obligation légale.
B. L’effet extinctif de l’autorité de chose jugée sur la faute alléguée
Le tribunal constate que la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait définitivement jugé, par arrêt du 25 mai 2023, que l’article 20 du règlement de copropriété ne permettait pas à la demanderesse « de limiter sa participation aux charges communes en raison de l’occupation partielle de son lot privatif par la VMC commune de l’immeuble ». Cette décision était devenue définitive à la suite de l’ordonnance de déchéance du pourvoi rendue le 11 janvier 2024.
Le tribunal en déduit que la société était « redevable de 46/1000 tantièmes des charges communes générales conformément aux appels de fonds qui lui avaient été adressés par le syndic ». La clé de répartition appliquée correspondait exactement à celle du règlement de copropriété tel qu’interprété par les juridictions du fond. Aucune contrariété ne pouvait être établie.
Le tribunal conclut que « à défaut de répartition des charges contrevenant au règlement de copropriété, la société Citya [Localité 10] n’a pas commis de faute à l’origine du préjudice invoqué ». L’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 25 mai 2023 privait la faute alléguée de tout fondement factuel. Le syndic avait appliqué la clé de répartition exacte. La demande de dommages-intérêts ne pouvait qu’être rejetée.
II. Le rejet de la procédure abusive, garantie du droit d’agir en justice
Le tribunal rappelle les critères restrictifs de l’abus de procédure (A), dont il constate l’absence en l’espèce malgré le contexte procédural défavorable à la demanderesse (B).
A. L’exigence d’une faute qualifiée pour caractériser l’abus
Le tribunal énonce le principe applicable. « L’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s’il s’agit d’une erreur grave équipollente au dol. » Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le droit d’agir en justice est une liberté fondamentale qui ne peut être sanctionnée qu’en cas de faute caractérisée.
Le tribunal ajoute que « l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas, en soi, constitutive d’une faute ». Cette précision est essentielle. La simple erreur de droit ou de fait ne suffit pas à caractériser l’abus. Le plaideur qui succombe n’est pas nécessairement un plaideur fautif. Seule l’intention de nuire ou la légèreté blâmable équivalant au dol peuvent fonder une condamnation pour procédure abusive.
Le syndic soutenait que l’assignation délivrée le 28 mai 2021, postérieurement au jugement du 27 janvier 2021, révélait une volonté de nuire. Il reprochait à la demanderesse d’avoir dissimulé l’existence de ce jugement. Cette argumentation tendait à démontrer la mauvaise foi procédurale.
B. L’absence de preuve d’une intention malveillante
Le tribunal relève un élément chronologique déterminant. « Lorsqu’elle l’a fait assigner, la société Roma avait interjeté appel du jugement rendu le 27 janvier 2021 qui n’avait pas tranché, de manière définitive, l’application ou non de l’article 20 du règlement de copropriété au lot 123. » L’appel pendant privait le jugement de première instance de son caractère définitif. La demanderesse pouvait légitimement espérer une infirmation.
Le tribunal note également que « des solutions transactionnelles avaient été recherchées au constat de la situation atypique de ce lot privatif ». Cette circonstance révèle que la situation juridique n’était pas dépourvue d’ambiguïté. Les parties elles-mêmes avaient tenté de trouver un accord amiable. La demande ne procédait donc pas d’une intention purement malveillante.
Le tribunal conclut que « la société Citya [Localité 10] ne rapporte pas la preuve que l’action entreprise par la société Roma procède d’un acte de malice, de mauvaise foi ou d’une intention de lui nuire ». La charge de la preuve pesait sur le demandeur à la demande reconventionnelle. Cette preuve n’était pas rapportée. Le droit d’agir en justice, même exercé de manière infructueuse, était préservé.
Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nice le 20 juin 2025 s’inscrit dans un contentieux récurrent du droit de la copropriété, celui de la responsabilité du syndic à l’égard des copropriétaires pris individuellement. Une société, propriétaire d’un lot de combles dans lequel était installé le bloc moteur de la ventilation mécanique contrôlée de l’immeuble, reprochait au syndic d’avoir méconnu une clause du règlement de copropriété l’exonérant du paiement des charges tant que son lot n’était pas occupé.
Les faits sont les suivants. La demanderesse était propriétaire du lot numéro 123 constitué de combles au sein d’une copropriété niçoise. Le règlement de copropriété, modifié par acte notarié du 30 juillet 1996, contenait un article 20 aux termes duquel les propriétaires de tous les lots ne paieraient pas les charges de copropriété, à l’exception des honoraires du syndic et des assurances, tant que leurs lots n’auraient pas été occupés pour la première fois. La demanderesse soutenait que son lot, intégralement occupé par un équipement commun, n’avait jamais pu être occupé et qu’elle devait bénéficier de cette exonération.
Le syndicat des copropriétaires avait préalablement assigné cette société en paiement de ses charges. Par jugement du 27 janvier 2021, le tribunal de grande instance de Nice l’avait condamnée à régler la somme de 23 220,23 euros. Sur appel, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait confirmé cette condamnation par arrêt du 25 mai 2023, en réduisant toutefois le montant à 20 791,30 euros. Le pourvoi formé contre cet arrêt avait fait l’objet d’une ordonnance de déchéance le 11 janvier 2024, rendant la décision définitive.
Par acte du 28 mai 2021, la société propriétaire avait fait assigner le syndic sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Elle sollicitait 15 000 euros de dommages-intérêts et la rectification de son compte sous astreinte. Le syndic concluait au débouté et formait une demande reconventionnelle pour procédure abusive.
La question posée au tribunal était double. Le syndic avait-il commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle en appelant des charges auprès d’un copropriétaire qui se prévalait d’une clause d’exonération du règlement de copropriété ? L’action engagée contre le syndic présentait-elle un caractère abusif ?
Le tribunal déboute la société demanderesse de l’ensemble de ses prétentions. Il rejette également la demande reconventionnelle du syndic pour procédure abusive. La société demanderesse est condamnée aux dépens et à verser 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision appelle un commentaire articulé autour de deux axes. L’autorité de chose jugée neutralise la caractérisation de la faute du syndic (I). Le rejet de la demande reconventionnelle pour procédure abusive préserve le droit d’agir en justice (II).
I. L’autorité de chose jugée, obstacle à la caractérisation de la faute du syndic
Le tribunal rappelle le fondement de la responsabilité délictuelle du syndic à l’égard des copropriétaires (A), avant de constater que l’arrêt définitif antérieur prive la faute alléguée de tout fondement (B).
A. Le rappel du régime de responsabilité délictuelle du syndic
Le tribunal énonce que « les copropriétaires qui supportent un préjudice spécifique sont fondés à mettre en cause la responsabilité du syndic sur le fondement, non pas des dispositions relatives au mandat puisque le syndic n’est pas le mandataire de chaque copropriétaire, mais des dispositions des articles 1240 et suivants du code civil ». Cette qualification est classique. Le syndic n’est mandataire que du syndicat des copropriétaires, personne morale distincte de ses membres. Le copropriétaire individuel ne peut donc invoquer les articles 1991 et 1992 du code civil relatifs à la responsabilité du mandataire.
Le tribunal précise les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité. Le copropriétaire « doit notamment établir l’existence d’un préjudice direct et personnel, indépendamment de celui éprouvé par la copropriété ». Cette exigence d’un préjudice distinct de celui du syndicat constitue une application rigoureuse du droit commun de la responsabilité civile. Le copropriétaire ne saurait se prévaloir d’un préjudice collectif pour fonder une action individuelle.
Le tribunal rappelle également que « le fait, pour le syndic, de procéder à une répartition des charges qui contrevient aux dispositions du règlement de copropriété constitue une faute du syndic qui engage sa responsabilité personnelle ». Cette affirmation de principe découle directement de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Le syndic est chargé d’assurer l’exécution des dispositions du règlement de copropriété. Une répartition non conforme caractérise un manquement à cette obligation légale.
B. L’effet extinctif de l’autorité de chose jugée sur la faute alléguée
Le tribunal constate que la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait définitivement jugé, par arrêt du 25 mai 2023, que l’article 20 du règlement de copropriété ne permettait pas à la demanderesse « de limiter sa participation aux charges communes en raison de l’occupation partielle de son lot privatif par la VMC commune de l’immeuble ». Cette décision était devenue définitive à la suite de l’ordonnance de déchéance du pourvoi rendue le 11 janvier 2024.
Le tribunal en déduit que la société était « redevable de 46/1000 tantièmes des charges communes générales conformément aux appels de fonds qui lui avaient été adressés par le syndic ». La clé de répartition appliquée correspondait exactement à celle du règlement de copropriété tel qu’interprété par les juridictions du fond. Aucune contrariété ne pouvait être établie.
Le tribunal conclut que « à défaut de répartition des charges contrevenant au règlement de copropriété, la société Citya [Localité 10] n’a pas commis de faute à l’origine du préjudice invoqué ». L’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 25 mai 2023 privait la faute alléguée de tout fondement factuel. Le syndic avait appliqué la clé de répartition exacte. La demande de dommages-intérêts ne pouvait qu’être rejetée.
II. Le rejet de la procédure abusive, garantie du droit d’agir en justice
Le tribunal rappelle les critères restrictifs de l’abus de procédure (A), dont il constate l’absence en l’espèce malgré le contexte procédural défavorable à la demanderesse (B).
A. L’exigence d’une faute qualifiée pour caractériser l’abus
Le tribunal énonce le principe applicable. « L’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s’il s’agit d’une erreur grave équipollente au dol. » Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le droit d’agir en justice est une liberté fondamentale qui ne peut être sanctionnée qu’en cas de faute caractérisée.
Le tribunal ajoute que « l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas, en soi, constitutive d’une faute ». Cette précision est essentielle. La simple erreur de droit ou de fait ne suffit pas à caractériser l’abus. Le plaideur qui succombe n’est pas nécessairement un plaideur fautif. Seule l’intention de nuire ou la légèreté blâmable équivalant au dol peuvent fonder une condamnation pour procédure abusive.
Le syndic soutenait que l’assignation délivrée le 28 mai 2021, postérieurement au jugement du 27 janvier 2021, révélait une volonté de nuire. Il reprochait à la demanderesse d’avoir dissimulé l’existence de ce jugement. Cette argumentation tendait à démontrer la mauvaise foi procédurale.
B. L’absence de preuve d’une intention malveillante
Le tribunal relève un élément chronologique déterminant. « Lorsqu’elle l’a fait assigner, la société Roma avait interjeté appel du jugement rendu le 27 janvier 2021 qui n’avait pas tranché, de manière définitive, l’application ou non de l’article 20 du règlement de copropriété au lot 123. » L’appel pendant privait le jugement de première instance de son caractère définitif. La demanderesse pouvait légitimement espérer une infirmation.
Le tribunal note également que « des solutions transactionnelles avaient été recherchées au constat de la situation atypique de ce lot privatif ». Cette circonstance révèle que la situation juridique n’était pas dépourvue d’ambiguïté. Les parties elles-mêmes avaient tenté de trouver un accord amiable. La demande ne procédait donc pas d’une intention purement malveillante.
Le tribunal conclut que « la société Citya [Localité 10] ne rapporte pas la preuve que l’action entreprise par la société Roma procède d’un acte de malice, de mauvaise foi ou d’une intention de lui nuire ». La charge de la preuve pesait sur le demandeur à la demande reconventionnelle. Cette preuve n’était pas rapportée. Le droit d’agir en justice, même exercé de manière infructueuse, était préservé.