Tribunal judiciaire de Nanterre, le 17 juin 2025, n°24/02266

Now using node v22.15.1 (npm v10.8.2)
Utilisation de Node.js v20.19.4 et npm 10.8.2
Codex est déjà installé.
Lancement de Codex…
Rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre le 17 juin 2025, l’ordonnance de référé tranche un litige locatif annexé à un contentieux de copropriété. Le propriétaire d’un appartement, invoquant des infiltrations provenant d’une terrasse d’étage, réclamait une provision correspondant à la perte de loyers, du départ du locataire à la réception des travaux d’étanchéité, ainsi que des mesures relatives à un séquestre de charges. Le défendeur contestait tant le principe du préjudice que son montant, en soutenant l’absence d’impossibilité avérée de relouer, même avec de simples retouches ou une minoration du loyer.

La procédure, initiée par assignation en référé en mars 2022, a connu un retrait du rôle, puis un rétablissement fin 2024 et un renvoi au printemps 2025. Le demandeur sollicitait une provision de 55.607,07 euros au titre de la vacance locative entre septembre 2018 et juin 2023, indexée, ainsi que la libération d’un séquestre de 8.803,37 euros, à défaut son maintien, outre une indemnité procédurale. Le défendeur concluait au débouté, subsidiairement à une forte réduction de l’indemnisation, en rappelant la complexité technique et administrative des travaux entrepris en copropriété.

La question posée était celle de l’existence, au sens de l’article 835 du code de procédure civile, d’une obligation non sérieusement contestable d’indemniser une perte locative prétendument causée par des désordres d’infiltration. Le juge de Nanterre rappelle que « Conformément à l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier. » Il précise que « Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l’obligation sur laquelle elle repose n’est pas sérieusement contestable et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation. » Estimant l’impossibilité de louer non démontrée avec l’évidence requise, le juge dit n’y avoir lieu à référé sur la provision et sur les mesures liées au séquestre, puis statue sur les dépens et l’article 700.

I. La rigueur probatoire du juge des référés au regard de l’article 835 du code de procédure civile

A. Le rappel de l’office du juge et la double exigence du « non sérieusement contestable »

Le juge des référés statue dans l’urgence, sans trancher le principal, en octroyant une provision lorsque l’obligation ne souffre pas de contestation sérieuse. L’ordonnance souligne d’abord le cadre légal en des termes dépourvus d’équivoque, citant que « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision ». Elle ajoute que la condition joue « à un double titre », tant sur le principe que sur l’étendue de l’obligation, seule la fraction non contestable pouvant être allouée.

Cette précision recentre l’analyse sur la preuve, au stade sommaire du référé, de l’impossibilité de louer due aux désordres. Il ne s’agit ni d’une évaluation fine du quantum ni d’un arbitrage technique complexe, mais d’une appréciation d’évidence suffisante. L’économie de l’article 835 commande ainsi une démonstration probante et immédiate, compatible avec la nature rapide et limitée du référé, sans hypothèse ni extrapolation.

B. L’insuffisance des éléments produits pour établir l’impossibilité de louer

Le juge retient que les pièces versées ne caractérisent pas, avec l’évidence requise, une impossibilité de relocation. Il relève que le courrier du mandataire du propriétaire n’a qu’une portée probatoire faible, car émis « par un mandataire à son mandant ». Surtout, l’ordonnance affirme que « Force est de constater que ce seul courrier ne démontre pas la disparition certaine et actuelle d’une éventualité favorable de pouvoir louer le bien ». L’analyse se fonde également sur les photographies, jugées insuffisantes à établir une insalubrité excluant toute mise en location, même après « un simple aplat de peinture ».

La dimension technique reçoit un appui décisif d’un constat d’humidité. L’ordonnance retient que « les murs de l’appartement sont secs, l’humidimètre affichant “0.0” ». Ce point neutralise, au moins provisoirement, l’allégation d’une humidité prohibitive, et ouvre la voie à l’argument du défendeur selon lequel une relocation restait possible, quitte à un loyer ajusté. L’obligation d’indemniser une perte locative intégrale se trouve donc sérieusement contestée en son principe, ce qui suffit à écarter la provision.

II. L’économie de la décision: mesure de la solution et enseignements pratiques

A. Une solution cohérente avec l’économie du référé, mais exigeante sur la preuve du préjudice locatif

Le refus de provision s’inscrit dans une lecture prudente de l’article 835, qui interdit de statuer lorsque l’incertitude demeure substantielle. La référence aux indices factuels concrets, et à un paramètre mesuré, assure une motivation sobre et opératoire. En présence de désordres en copropriété, l’impossibilité de louer ne se présume pas d’une infiltration ancienne ou de retards de chantier. Elle requiert des éléments convergents, actuels et directement opérants sur l’habitabilité ou la décence.

Cette approche, conforme à la logique du référé, peut toutefois susciter une discussion sur la preuve attendue de l’impossibilité. Des documents techniques contradictoires, des constats indépendants, des annonces infructueuses ou des offres de location avortées pourraient, en d’autres espèces, franchir le seuil de l’évidence. Ici, l’ordonnance retient qu’« il ne ressort pas des photos produites aux débats que le bien soit impossible à louer », ce qui confirme une exigence probatoire élevée pour un préjudice locatif intégral.

B. Portée procédurale et incidences pratiques pour les litiges de copropriété

La décision illustre une ligne claire: en l’absence d’évidence, « il sera dit n’y avoir lieu à référé ». L’enseignement dépasse le seul refus de provision. Il touche aussi les demandes accessoires mêlant séquestre et charges, lorsque le fond demeure pendant. La juridiction décline de statuer sur des mesures qui interfèrent avec une instance au fond déjà engagée, évitant des décisions contradictoires ou des chevauchements de compétence.

L’ordonnance rappelle enfin les règles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles. Elle énonce que « L’article 491 du code de procédure civile impose au juge des référés de statuer sur les dépens », et rappelle que « L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine ». L’allocation d’une somme modérée en application de ce texte parachève un équilibre procédural classique dans le cadre d’un référé débouté.

Au total, l’ordonnance signale aux praticiens la difficulté d’obtenir, en copropriété, une provision pour perte de loyers sans dossier technique robuste, recentré sur l’habitabilité et la décence. Elle incite à documenter précisément l’état des lieux, la chronologie des travaux, les démarches de relocation et l’impossibilité objectivée de louer. À défaut, l’existence même de l’obligation indemnitaire demeure sérieusement contestable au sens de l’article 835, fermant l’accès à la provision.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture