Tribunal judiciaire de Bobigny, le 18 juin 2025, n°23/09637

Rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 18 juin 2025 (n° RG 23/09637), le jugement statue sur l’action d’un syndicat de copropriétaires en recouvrement d’un arriéré de charges, l’attribution de frais nécessaires et l’octroi de dommages-intérêts distincts de l’intérêt moratoire. La défenderesse, propriétaire de lots, n’a pas conclu malgré plusieurs renvois, tandis que le demandeur a versé aux débats les procès-verbaux d’assemblées générales, l’extrait de compte et les appels de fonds. Après clôture le 23 janvier 2025, l’audience s’est tenue le 7 mai 2025. La question centrale tenait à l’exigibilité et à l’assiette des charges impayées au regard de l’approbation des comptes, à la prise en charge des “frais nécessaires” de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, et à la réparation d’un préjudice distinct lié au retard fautif. Le tribunal a condamné la copropriétaire au paiement de 14 280,92 euros au titre des charges, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 juin 2023 pour une fraction, a rejeté la demande fondée sur l’article 10-1, et a alloué 400 euros de dommages-intérêts en application de l’article 1231-6 du code civil.

I – Le raisonnement sur l’exigibilité des charges et son encadrement probatoire

A – L’approbation des comptes comme fondement de l’exigibilité et la charge de la preuve
Le tribunal rappelle le principe directeur de la matière, en relevant que “L’approbation des comptes du syndic par l’assemblée générale rend certaine, liquide et exigible la créance du syndicat des copropriétaires relative à chaque quote-part de charges.” Cette affirmation situe clairement l’exigibilité sur le terrain des décisions collectives approuvant comptes et budgets, ce qui exclut les contestations individuelles tardives. Dans le même mouvement, la juridiction place la charge probatoire du côté du demandeur, citant que “En application de l’article 1353 du code civil, il appartient à celui qui demande l’exécution d’une obligation d’en rapporter la preuve.” La solution s’adosse alors à une exigence probatoire précise, également formulée ainsi: “En conséquence, il appartient au syndicat des copropriétaires qui poursuit le recouvrement de charges de produire le procès-verbal de la ou des assemblées générales approuvant les comptes des exercices correspondants et les budgets prévisionnels.” Le fondement probatoire est classiquement conforme au droit positif, puisqu’il articule l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 avec l’article 1353 du code civil, et fait de l’approbation des comptes un pivot d’exigibilité des créances.

B – La stricte exclusion des postes non justifiés et des frais étrangers aux charges
Le contrôle se révèle substantiel lorsque la juridiction écarte les montants rattachés à l’exercice 2020, faute de preuve d’approbation régulière, et ordonne de les retrancher. La motivation est nette: “Il convient en conséquence de déduire les deux montants susvisés des sommes réclamées par le syndicat des copropriétaires.” Le tribunal soustrait encore les frais de recouvrement et de contentieux inscrits en compte, au motif qu’ils “ne constituent pas des charges de copropriété,” et qu’ils relèvent d’un régime spécifique. Cette approche réaffirme l’exigence de stricte corrélation entre l’assiette appelée et les décisions d’assemblée, en séparant les créances de charges votées des frais accessoires. L’issue chiffrée repose sur un calcul bilatéral, arrêtant l’arriéré à 14 280,92 euros, et adossant les intérêts au taux légal à la mise en demeure du 9 juin 2023 pour 7 477,61 euros, le surplus courant à compter de l’assignation. La décision fixe un cadre opératoire rigoureux, fidèle à la logique d’exigibilité conditionnée par la preuve des approbations et par l’exclusion des postes hétérogènes.

II – Le traitement des frais nécessaires et du préjudice distinct du retard

A – L’encadrement restrictif de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965
Le tribunal rappelle que, “Selon l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 sont imputables au seul copropriétaire concerné les frais nécessaires exposés par le syndicat, notamment les frais de mise en demeure […] à compter de la mise en demeure.” La solution resserre la preuve autour d’une mise en demeure accomplie selon les formes de l’article 64 du décret du 17 mars 1967. Faute de justifier de mises en demeure régulières antérieures au 9 juin 2023, le demandeur voit écarter les frais antérieurs et, de surcroît, ceux relevant d’honoraires d’avocat, qualifiés d’irrépétibles. La sanction est ferme: “Le syndicat des copropriétaires sera en conséquence débouté de sa demande au titre des frais nécessaires au recouvrement.” La motivation protège le régime légal en distinguant ce qui est imputable au seul copropriétaire, et ce qui ressort des dépens ou de l’article 700 du code de procédure civile. Elle renforce l’exigence de pièces probantes, de temporalité exacte et de qualification des postes.

B – L’admission mesurée d’un préjudice distinct au titre de l’article 1231-6 du code civil
La juridiction reproduit le texte de référence, selon lequel “Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire.” Elle retient la durée anormale de l’impayé, supérieure à quatre ans, et la perturbation de la trésorerie de la collectivité, notant que l’inexécution “a en effet nécessairement perturbé la trésorerie et le bon fonctionnement de la copropriété.” Le quantum de 400 euros illustre une réparation modérée et autonome, qui s’ajoute aux intérêts de retard. La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle admettant la coexistence de l’intérêt moratoire et d’une indemnisation spécifique, sous condition de mauvaise foi et de préjudice distinct. Elle exerce une vigilance sur la proportion, afin d’éviter une double réparation déguisée, tout en reconnaissant la réalité opérationnelle du préjudice de trésorerie dans un ensemble soumis à des appels réguliers.

I – Sens et cohérence d’ensemble

A – Une orthodoxie probatoire au service de la sécurité des flux communs
L’articulation entre approbation des comptes, charge de la preuve, et exigibilité des quotes-parts promeut la sécurité des flux financiers de la copropriété. La motivation, appuyée sur des visas précis et des extraits explicites, donne un mode d’emploi probatoire clair, de nature à prévenir des contestations dilatoires. L’exclusion des postes de 2020 non approuvés illustre une exigence de stricte traçabilité. Elle garantit que le décompte n’incorpore que des créances devenues certaines par la délibération collective.

B – Une séparation nette entre charges, frais nécessaires et frais irrépétibles
La grille de lecture offre une ligne directrice opérationnelle: seuls les frais répondant aux conditions de l’article 10-1, postérieurs à une mise en demeure régulière et dûment justifiés, sont imputables au copropriétaire défaillant. Les honoraires d’avocat relèvent des frais irrépétibles et ne sauraient être dissimulés dans les écritures de charges. Ce rappel de méthode, combiné au refus d’intégrer des coûts hétérogènes au compte de charges, participe d’une saine discipline comptable et contentieuse.

II – Valeur et portée de la décision

A – Une décision pédagogique qui consolide des exigences déjà établies
Par le rappel que “L’approbation des comptes […] rend certaine, liquide et exigible la créance,” le jugement s’aligne sur une construction admise. Il se singularise par une mise en œuvre serrée des preuves exigées et par l’écrêtement minutieux des postes non fondés. La portée immédiate est incitative: produire les procès-verbaux pertinents, isoler les frais, et documenter la première mise en demeure conforme au décret de 1967.

B – Une ouverture mesurée à l’indemnisation du préjudice distinct
La référence expresse à l’article 1231-6 et l’octroi modéré de 400 euros confirment la possibilité de réparer un trouble de trésorerie distinct des intérêts moratoires. La solution met l’accent sur la durée et la constance du manquement, ce qui éclaire les hypothèses futures. Elle demeure prudente sur le quantum, afin de préserver l’équilibre entre sanction du retard fautif et interdiction du cumul indemnitaire injustifié. Cette mesure peut guider les syndicats dans la qualification du préjudice et l’administration de la preuve.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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