La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 15 juin 2016, une décision fondamentale relative au régime des déductions de la taxe sur la valeur ajoutée. Cet arrêt précise les conditions dans lesquelles un État membre peut modifier les méthodes de répartition de la taxe en amont pour des immeubles à usage mixte. Une société civile immobilière a entrepris la construction d’un bâtiment comprenant des unités de logement et des locaux commerciaux entre les années 1999 et 2004. L’assujetti a initialement appliqué une clé de répartition fondée sur le chiffre d’affaires pour déterminer la part déductible de la taxe ayant grevé les travaux. L’administration fiscale a rectifié ce calcul en imposant une répartition selon la superficie, conformément à une modification législative intervenue au cours de la période de construction. Le Bundesfinanzhof a saisi la Cour de questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 17 et 20 de la sixième directive relative à l’harmonisation des législations fiscales. La juridiction européenne affirme que les États membres peuvent privilégier une méthode de calcul plus précise sans toutefois imposer une affectation préalable complexe et difficilement réalisable.
L’étude de cette décision permet d’analyser d’abord l’aménagement des modalités de répartition de la taxe puis la légitimité du mécanisme de régularisation des déductions opérées par l’assujetti.
I. L’aménagement des modalités de répartition de la taxe en amont
A. La liberté encadrée du choix de la méthode de répartition
Le droit à déduction constitue un principe fondamental du système commun de taxe sur la valeur ajoutée garantissant la neutralité fiscale de l’ensemble des activités économiques. Pour les biens à usage mixte, l’article 17 de la sixième directive prévoit une limitation du droit à déduction proportionnelle au montant afférent aux opérations taxables. Le juge rappelle que les États membres peuvent déroger à la clé de répartition fondée sur le chiffre d’affaires pour assurer une plus grande exactitude. La Cour précise que la méthode retenue doit garantir « une détermination du prorata de déduction de la TVA payée en amont plus précise que celle résultant de l’application » du chiffre d’affaires. Cette faculté permet d’adapter le calcul aux spécificités des investissements immobiliers où la superficie reflète souvent mieux la réalité économique de l’utilisation des locaux. L’exigence de précision n’impose cependant pas aux autorités nationales de retenir la méthode la plus complexe mais seulement une solution supérieure au régime de droit commun.
B. La subsidiarité de l’affectation directe des dépenses
La décision apporte une précision majeure concernant l’ordre des opérations comptables lors de la détermination de la part déductible pour la construction d’un immeuble mixte. Les États membres ne sont pas tenus d’exiger une affectation préalable et exclusive des biens et services à une opération particulière avant l’application d’un prorata. La Cour estime qu’une telle obligation ne s’impose pas « lorsqu’une telle affectation est difficilement réalisable » en raison de la complexité pratique des travaux de construction. Le juge européen opère ainsi un équilibre nécessaire entre l’objectif de précision fiscale et le principe de simplicité administrative pour les assujettis et l’administration. Cette souplesse permet d’appliquer directement une clé de répartition globale aux coûts d’acquisition ou de réalisation dès lors que l’affectation économique précise s’avère excessivement laborieuse. La validité de cette méthode de calcul globale justifie alors l’examen des conséquences d’un changement de législation sur les déductions déjà comptabilisées.
II. La légitimité du mécanisme de régularisation des déductions
A. L’ajustement nécessaire des droits à déduction initiaux
Le mécanisme de régularisation prévu à l’article 20 de la sixième directive vise à maintenir une relation étroite entre le droit à déduction et l’activité taxable. La Cour considère que la modification de la méthode de calcul du droit à déduction constitue un élément nouveau justifiant une correction des montants initialement déduits. L’objectif de ce dispositif est d’accroître la précision des déductions en les adaptant aux évolutions législatives intervenant pendant la période de régularisation de dix ans pour les immeubles. Le juge affirme que cette disposition « exige qu’il soit procédé à la régularisation des déductions » à la suite de l’adoption d’une nouvelle clé de répartition dérogatoire. Ce ajustement post-déclaration assure que l’assujetti ne bénéficie pas d’un avantage fiscal injustifié au regard de l’utilisation réelle et finale de son investissement immobilier. Cette obligation de régularisation doit toutefois s’exercer dans le respect des principes supérieurs garantissant la stabilité des situations juridiques acquises par les contribuables.
B. La conformité aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime
La modification immédiate d’une règle de calcul fiscal peut susciter des interrogations au regard de la protection due aux assujettis face aux changements législatifs soudains. La Cour juge que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne s’opposent pas à une régularisation sans régime transitoire dans cette hypothèse précise. Une règle nouvelle s’applique en principe dès son entrée en vigueur sans que le législateur soit tenu de prévoir des mesures d’accompagnement systématiques pour les contribuables. Le juge souligne que la modification de la méthode de calcul n’entraîne pas une suppression du droit mais seulement un aménagement de son ampleur économique. Les principes généraux ne font pas obstacle à ce qu’une loi nouvelle s’applique aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne. L’absence de mention expresse de l’obligation de régularisation dans la loi nationale n’exonère pas l’assujetti de cette procédure dès lors qu’elle découle directement de la directive.