Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mai 2023, n°C-516/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 4 mai 2023, un arrêt précisant le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable à l’affermage d’équipements industriels. Un propriétaire a loué un bâtiment d’élevage avicole équipé de systèmes de chauffage et de ventilation spécifiques moyennant une redevance unique couvrant l’ensemble des éléments mis à disposition. L’administration fiscale a contesté l’exonération totale de la prestation en réclamant la taxation de la part de loyer correspondant aux machines et aux outillages fixés à demeure. Le tribunal des finances a d’abord annulé les redressements en considérant que la mise à disposition des équipements constituait une prestation accessoire au bail immobilier principal. Saisie d’un pourvoi, la Cour fédérale des finances d’Allemagne a décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle aux juges de Luxembourg. Le litige porte sur l’application de l’exclusion d’exonération prévue à l’article 135 de la directive 2006/112 quand la location de machines est liée à un bail immobilier. La juridiction européenne doit déterminer si l’obligation fiscale grevant la location d’outillages s’applique à une prestation accessoire indissociable d’un contrat d’affermage de bâtiment exonéré. Elle répond que cette exclusion ne s’applique pas lorsque les prestations forment une opération économique unique dont le bâtiment constitue l’élément prépondérant pour le preneur. L’analyse de cette décision suppose d’étudier la reconnaissance d’une prestation économique unique avant d’examiner l’éviction du fractionnement artificiel des opérations complexes.

I. La reconnaissance d’une prestation économique unique indivisible

A. Le critère de l’étroite liaison entre les prestations

La Cour rappelle que l’existence d’une prestation unique s’apprécie au regard du lien objectif unissant les différents éléments fournis par l’assujetti à son client. Une opération constitue une prestation unique lorsque ses composants sont si étroitement liés qu’ils forment une seule entité économique dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel. Le juge doit vérifier si la mise à disposition des machines représente pour le preneur un simple moyen de bénéficier du service principal dans les meilleures conditions. L’arrêt souligne que les équipements étaient ici spécifiquement adaptés à l’usage du bâtiment agricole et indispensables à l’activité d’élevage prévue par le contrat de bail. Cette finalité commune permet de conclure à l’indivisibilité de l’opération économique malgré la présence d’éléments techniques distincts de la structure immobilière elle-même.

B. L’assimilation fiscale de l’accessoire à la prestation principale

Le principe de l’unicité conduit à appliquer le régime fiscal de l’élément prépondérant à l’ensemble des services fournis par le bailleur au preneur de l’immeuble. La Cour juge explicitement que « la prestation accessoire partage le sort fiscal de la prestation principale en matière de TVA » sans possibilité de dérogation arbitraire. Dès lors que l’affermage du bâtiment est exonéré, la location des outillages fixés à demeure bénéficie de la même mesure de faveur au titre du contrat global. Cette solution évite aux opérateurs économiques de devoir ventiler artificiellement les rémunérations entre des biens qui ne présentent d’utilité que par leur usage conjoint et simultané. La qualification d’accessoire absorbe ainsi les caractéristiques propres de chaque équipement pour les fondre dans le régime juridique plus vaste du bail immobilier de référence.

II. L’éviction du fractionnement artificiel des opérations complexes

A. La primauté de la réalité économique sur l’interprétation littérale

L’administration fiscale soutenait qu’une exception à une exonération devait recevoir une interprétation large afin de garantir la taxation effective des opérations de location de machines. La Cour écarte cette analyse en précisant que « l’article 135, paragraphe 2, de la directive TVA ne constitue pas une disposition dont il découlerait […] une exigence de fractionner ». Elle considère que l’application mécanique des exclusions ne doit pas altérer la fonctionnalité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée basé sur l’unité. Le respect de la cohérence économique prévaut sur la lecture isolée des textes qui prévoient normalement la taxation des outillages et des machines fixés à demeure. Les juges protègent ainsi la structure globale du contrat de bail contre une analyse fragmentaire qui multiplierait inutilement les régimes d’imposition au sein d’une même convention.

B. La portée de la solution sur le régime des locations immobilières

Cette décision confirme une jurisprudence constante favorisant une approche globale des contrats complexes de mise à disposition de biens immobiliers à usage professionnel ou commercial. Elle limite les risques de redressement fiscal pour les bailleurs proposant des bâtiments clés en main dont les équipements sont nécessaires à l’exercice immédiat d’une activité. La sécurité juridique des cocontractants se trouve renforcée par l’affirmation que l’exclusion de l’exonération ne concerne que les locations isolées ou autonomes de matériels techniques. Les autorités nationales ne peuvent plus isoler arbitrairement la valeur des machines pour les soumettre à la taxe dès lors que le bâtiment reste l’objet principal. L’arrêt garantit finalement une neutralité fiscale conforme aux réalités du marché de l’immobilier d’entreprise où le contenant et le contenu forment souvent un ensemble fonctionnel unique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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