Cour de justice de l’Union européenne, le 28 février 2018, n°C-672/16

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 février 2018, une décision importante concernant le régime commun de la taxe sur la valeur ajoutée. Ce litige porte précisément sur la régularisation des déductions initialement opérées lors de l’acquisition d’immeubles destinés à une activité de location commerciale taxée. Une société spécialisée dans la gestion immobilière possédait des bâtiments dont certains lots sont demeurés vacants pendant une période supérieure à deux années consécutives. Malgré une promotion commerciale ininterrompue et des efforts documentés pour trouver des preneurs, l’administration fiscale nationale a exigé le remboursement d’une partie de la taxe déduite.

La procédure a débuté par des contrôles fiscaux concluant à la nécessité de régulariser la taxe au motif d’une absence d’utilisation effective des biens immobiliers. La société a contesté ces redressements devant le Tribunal arbitral en matière fiscale du Portugal en invoquant une violation manifeste du droit de l’Union européenne. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité de sa législation interne avec la directive de 2006. Le litige repose sur l’opposition entre l’exigence nationale de régularisation automatique après deux ans d’inoccupation et le principe européen du maintien du droit à déduction.

La question posée aux juges consistait à savoir si les dispositions européennes autorisent une réglementation nationale imposant la régularisation de la taxe déduite pour vacance prolongée. La Cour de justice répond par la négative dès lors que l’assujetti prouve son intention persistante de louer le bien dans le cadre d’opérations taxées. Cette solution protège les investisseurs contre les aléas du marché immobilier tout en encadrant strictement les facultés de régularisation offertes aux États membres par la directive.

I. La préservation de l’intégrité du droit à déduction durant la période d’inoccupation

A. La cristallisation du droit à déduction dès l’exigibilité de la taxe

Le juge européen rappelle que « le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible » conformément aux dispositions de la directive. La qualité d’assujetti de la société immobilière n’est pas contestée au moment de l’acquisition des biens et des services nécessaires à son exploitation économique. L’existence de ce droit fondamental s’apprécie donc exclusivement à l’instant où l’intéressé agit en cette qualité pour les besoins de ses opérations futures. Une fois que l’administration fiscale a accepté ce statut, elle ne peut plus le retirer avec un effet rétroactif en raison de circonstances ultérieures imprévues.

Le mécanisme de déduction immédiate pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations en amont constitue un élément essentiel du système de la taxe. L’utilisation envisagée pour les biens détermine l’étendue de la déduction initiale mais n’affecte pas la naissance du droit dès la réalisation de l’investissement. Cette approche garantit une sécurité juridique indispensable pour les opérateurs économiques qui engagent des capitaux importants dans des projets immobiliers de longue durée. La Cour confirme ainsi que la protection du droit acquis prime sur les fluctuations temporelles de l’activité commerciale réelle de l’entreprise assujettie.

B. L’incidence limitée des aléas économiques sur le bénéfice de la déduction

La décision souligne qu’un assujetti conserve son droit à déduction « même si, ultérieurement, en raison de circonstances étrangères à sa volonté, l’assujetti ne fait pas usage » des biens. L’inoccupation d’un immeuble pendant plus de deux ans ne saurait être interprétée comme une interruption volontaire de l’affectation du bien aux besoins de l’entreprise. Dès lors que la volonté de louer avec assujettissement à la taxe est démontrée par des démarches actives, l’absence de locataire constitue un simple risque commercial. Le droit de l’Union s’oppose donc à ce que ce risque soit supporté par l’entrepreneur par le biais d’une charge fiscale supplémentaire indue.

Le maintien de l’intention de réaliser des opérations taxées suffit à justifier la conservation du bénéfice de la taxe déduite lors de la phase d’investissement. Les juges précisent que seule la fraude ou l’abus pourraient permettre à l’administration de demander le remboursement des sommes initialement déduites par le contribuable. En dehors de ces hypothèses exceptionnelles, la vacance prolongée ne constitue pas une modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions. La solution retenue favorise ainsi une interprétation téléologique de la directive qui privilégie la réalité de l’intention économique sur la matérialité immédiate des revenus.

II. Le triomphe du principe de neutralité fiscale sur les exigences de régularisation nationales

A. La censure des obstacles discriminatoires à l’investissement immobilier

Le principe de neutralité fiscale impose de « soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités ». Le juge refuse qu’une législation nationale crée des différences injustifiées entre des entreprises réalisant déjà des opérations imposables et celles cherchant à les commencer. Imposer une régularisation pour inoccupation reviendrait à faire dépendre l’acceptation définitive des déductions des résultats aléatoires de l’activité économique exercée par la société. Une telle pratique fiscale introduirait une discrimination arbitraire au détriment des investisseurs confrontés à des marchés immobiliers ponctuellement atones ou difficiles.

La neutralité garantit que la charge fiscale reste identique pour toutes les activités économiques quels que soient les buts ou les résultats de ces dernières. La Cour rejette l’argument gouvernemental selon lequel la résiliation des baux constituerait une modification justifiant une régularisation proportionnelle de la taxe déduite en amont. Restreindre le droit à déduction par des modalités de régularisation automatiques porterait atteinte aux fondements mêmes du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée. Le raisonnement juridique privilégie la cohérence économique globale sur une vision purement comptable et fragmentée des périodes d’imposition annuelles fixées par les États.

B. L’encadrement rigoureux du pouvoir discrétionnaire des États membres

Les États membres disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer les modalités d’exercice du droit d’option pour la taxation des locations immobilières en principe exonérées. Toutefois, ce pouvoir ne leur permet pas d’enfreindre les règles relatives à la naissance du droit à déduction en révoquant un bénéfice déjà acquis. La Cour distingue la portée du droit d’option, que le législateur national peut restreindre, des conséquences de l’exercice de ce droit une fois valablement effectué. L’exigence de régularisation litigieuse affecte les conséquences de l’option et sort donc du champ des compétences discrétionnaires accordées par le texte européen.

La décision restreint ainsi la capacité des autorités nationales à limiter le droit à déduction sous couvert de lutte contre l’érosion des recettes fiscales. La protection des intérêts budgétaires de l’État ne peut justifier une remise en cause des principes fondamentaux de la directive sans preuve d’abus. Cette jurisprudence offre une garantie forte aux acteurs du secteur immobilier en stabilisant le coût fiscal de leurs actifs pendant toute la période de détention. Le juge européen réaffirme sa mission de garant de l’uniformité du droit de l’Union face aux interprétations nationales restrictives de la liberté d’investissement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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