La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 12 décembre 2024 un arrêt précisant les modalités de réparation d’un manquement étatique. Cette affaire porte sur la validité de la réinscription d’usufruits agricoles précédemment supprimés par une législation nationale contraire au droit de l’Union. Un contrat d’usufruit a été conclu en décembre 2001 puis inscrit au registre foncier en janvier 2002 sur une parcelle dont la propriété a ensuite été transférée. En 2015, l’autorité administrative a radié ce droit d’usufruit en application d’une réforme législative nationale supprimant de plein droit les usufruits détenus par des non-résidents. La Cour de justice a ultérieurement jugé cette suppression incompatible avec la libre circulation des capitaux et le droit de propriété garanti par la Charte. Pour exécuter ce constat de manquement, le législateur national a instauré une procédure de réinscription de ces droits au profit des anciens titulaires évincés. L’actuel propriétaire de la parcelle conteste cette réinscription en invoquant l’illégalité initiale de l’enregistrement de l’usufruit au regard du droit interne applicable en 2002. La juridiction de renvoi demande si le droit de l’Union impose la réinscription d’un droit définitivement enregistré mais potentiellement irrégulier lors de sa constitution initiale. Le problème juridique consiste à déterminer si l’obligation de restaurer un droit indûment supprimé prime sur les irrégularités administratives nationales devenues définitives. La Cour répond que l’article 63 TFUE et l’article 17 de la Charte ne s’opposent pas à une telle réinscription sans nouvel examen de légalité. L’analyse de cette décision suppose d’étudier la restauration nécessaire des droits indûment supprimés avant d’apprécier la primauté de l’effectivité du droit de l’Union sur les irrégularités nationales.
I. La restauration nécessaire des droits indûment supprimés
A. La priorité accordée au rétablissement de la situation antérieure
La Cour de justice affirme que le rétablissement de la situation juridique constitue la mesure de réparation privilégiée après un constat de manquement. Elle précise que la « réinscription au registre foncier des droits d’usufruit supprimés en violation de l’article 63 TFUE est le moyen le plus à même de rétablir » la situation. Cette solution vise à effacer, au moins pour l’avenir, les conséquences préjudiciables d’une législation nationale reconnue incompatible avec les traités européens. Le juge souligne que ce rétablissement s’impose dès lors qu’aucun obstacle objectif et légitime, tel qu’une expropriation, ne vient s’opposer techniquement à la mesure. La réinscription permet ainsi de replacer l’usufruitier dans la position dont il a été privé par l’effet direct d’une norme contraire au droit de l’Union. Cette approche fonctionnelle privilégie la réparation en nature plutôt qu’une simple compensation financière dont la valeur pourrait s’avérer insuffisante. Elle garantit ainsi une protection concrète aux investisseurs ayant exercé leur liberté de circulation au sein du marché intérieur européen.
B. La caractérisation de l’entrave à la libre circulation des capitaux
L’investissement immobilier réalisé par un non-résident sur le territoire d’un État membre relève sans ambiguïté du champ d’application de l’article 63 TFUE. La Cour rappelle que cet article prohibe toutes les restrictions aux mouvements de capitaux qui sont de nature à dissuader les investisseurs étrangers. En l’espèce, la réglementation imposant le rétablissement d’un droit d’usufruit au profit d’un tiers diminue mécaniquement la valeur vénale de la terre agricole. Elle restreint également la capacité du propriétaire de jouir librement des biens pour l’acquisition desquels il a investi ses propres capitaux initiaux. Une telle mesure constitue donc une restriction à la liberté fondamentale de circulation, bien qu’elle poursuive un objectif de mise en conformité. Cet objectif d’exécution d’un arrêt de manquement représente toutefois une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une limitation proportionnée aux droits du propriétaire. La Cour valide ainsi la cohérence du système juridique européen où l’exécution des arrêts de justice prime sur les intérêts économiques individuels.
II. La primauté de l’effectivité du droit de l’Union sur les irrégularités nationales
A. L’absence de protection d’un droit de propriété irrégulièrement étendu
L’actuel propriétaire invoque son droit de propriété pour s’opposer à la réinscription de l’usufruit dont la radiation lui avait profité. Le juge européen écarte cet argument en soulignant que la pleine propriété ainsi recouvrée résulte d’une méconnaissance caractérisée du droit de l’Union. En effet, la « pleine propriété de la parcelle agricole […] ne peut être considérée comme ayant été acquise légalement au sens de l’article 17 » de la Charte. L’extension du droit de propriété n’est intervenue qu’à la suite de la suppression illégale d’un droit démembré appartenant légitimement à l’usufruitier. Le propriétaire ne peut donc se prévaloir de la protection constitutionnelle de la Charte pour conserver un avantage obtenu par une violation des traités. La réglementation nationale de réinscription ne constitue pas une spoliation mais le retour à l’équilibre juridique préexistant à la réforme litigieuse. Elle replace simplement le nu-propriétaire dans la situation contractuelle exacte qu’il avait initialement acceptée lors de l’acquisition de son titre.
B. La consolidation du droit par le principe de sécurité juridique
La Cour fonde également sa solution sur la stabilité des situations administratives acquises avant l’intervention de la législation nationale de suppression. L’inscription de l’usufruit au registre foncier était devenue définitive et n’avait fait l’objet d’aucun recours dans les délais légaux impartis. Le juge relève que « le principe de sécurité juridique milite également en faveur du rétablissement du droit d’usufruit » dont l’usufruitier a joui paisiblement. Une irrégularité commise lors de l’enregistrement initial ne saurait justifier une suppression radicale intervenant plus de dix années après l’acte. Les autorités nationales auraient dû faire preuve de davantage de diligence si elles souhaitaient sanctionner une éventuelle méconnaissance de la loi agraire. L’effectivité du droit de l’Union commande de ne pas laisser subsister les effets d’une radiation arbitraire sous couvert d’un contrôle de légalité tardif. Cette décision renforce ainsi la confiance légitime des citoyens européens dans le caractère définitif des droits inscrits sur les registres publics.