Cour d’appel de Toulouse, le 25 juin 2025, n°22/02520

La cour d’appel de Toulouse, 25 juin 2025 (1re chambre, section 1, n° RG 22/02520), statue sur un litige né d’une location-accession portant sur un immeuble en l’état futur d’achèvement. Les acquéreurs ont pris possession en juillet 2015 avec réserves, puis ont sollicité deux expertises judiciaires, la seconde révélant une possible erreur d’implantation. Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse, par ordonnance du 2 juin 2022, a déclaré irrecevables toutes leurs demandes contre le vendeur-promoteur et ses assureurs, pour forclusion fondée sur les articles 1642-1 et 1648 du code civil, et a constaté l’extinction de l’instance. Les acquéreurs interjettent appel, soutenant que certains désordres n’étaient pas apparents à la prise de possession et que l’erreur d’implantation échappe au régime de la garantie des vices apparents. La question posée porte sur l’étendue du champ de la forclusion annale de l’article 1648 pour un immeuble à construire livré en location-accession, et sur le sort des demandes relatives à des défauts non apparents et à une implantation erronée révélée postérieurement. La cour infirme partiellement, juge que seuls les désordres effectivement apparents à la prise de possession sont forclos, admet la recevabilité des autres griefs, et constate la poursuite de l’instance.

I. La décision précise le périmètre de la forclusion annale de l’article 1648

A. Le rappel du critère d’apparence à la prise de possession

La cour part de la qualification opérée par le premier juge, qui avait englobé l’intégralité des demandes dans la garantie des vices apparents. Elle rappelle d’abord la logique du mécanisme au regard du texte et de la jurisprudence citée. Elle souligne ensuite la nécessaire corrélation entre forclusion et caractère objectivement apparent du défaut au moment pertinent. Selon la décision, « Mais il n’en résulte pas que tous les désordres dénoncés dans le délai d’un an à compter de la prise de possession relèvent du régime de l’action en garantie des vices et défauts de conformité apparents: seuls les vices et défauts de conformité apparents lors de la prise de possession, dénoncés ou non dans le mois de la prise de possession, sont soumis au délai de forclusion annal. » La solution prend ainsi appui sur le couple 1642-1/1648 sans en étendre la portée au-delà de son objet.

Cette clarification s’accompagne d’une distinction nette avec la responsabilité contractuelle de droit commun. La cour énonce que « Les vices cachés à la date de la livraison et dans le mois suivant la prise de possession demeurent soumis à la prescription de l’action contractuelle de droit commun, à charge pour l’acquéreur, sur le fond, de démontrer une faute du promoteur vendeur à l’origine du défaut caché dénoncé. » Le raisonnement est pédagogique : il identifie la voie procédurale ouverte pour les défauts non appréhendables à la livraison, sans confondre forclusion et prescription.

B. L’application aux désordres concrets et au grief d’implantation

La cour ventile ensuite les postes litigieux à la lumière du critère d’apparence. Les désordres relevés dans le procès-verbal de livraison ou aisément détectables dans le mois relèvent du régime des vices apparents et se heurtent à la forclusion annale. À l’inverse, les défauts impliquant des vérifications techniques, des accès difficiles ou des manifestations différées échappent à ce régime et demeurent recevables sous l’angle contractuel de droit commun. Cette démarche au cas par cas évite toute assimilation hâtive entre dénonciation précoce et apparence juridique au sens de l’article 1642-1.

Surtout, la cour isole le grief d’implantation révélé par la seconde expertise, lequel ne s’inscrit pas dans la temporalité de la prise de possession. Elle juge, par une formule nette, que « Il ne peut donc être soutenu que la réparation des dommages résultant de cette erreur d’implantation relève du régime de la garantie des vices de construction et défauts de conformité apparents lors de la prise de possession prévue par l’article 1642-1 du code civil, la livraison étant en l’espèce intervenue le 16 juillet 2015. » L’autonomie de ce chef de demande, détaché de la logique des réserves initiales, justifie le rejet de la fin de non-recevoir correspondante.

II. La solution s’inscrit dans le droit positif et en précise la portée pratique

A. Conformité aux principes dégagés par la jurisprudence

La cour articule explicitement son analyse avec les arrêts de la troisième chambre civile rappelés dans les motifs, qui circonscrivent la garantie des vices apparents et interdisent d’en élargir le périmètre au profit d’une action contractuelle concurrente. En maintenant le monopole de 1642-1/1648 sur les seuls défauts apparents, elle évite l’évaporation de la forclusion et, symétriquement, préserve l’action de droit commun lorsque l’apparence fait défaut. La motivation réaffirme avec clarté l’équilibre entre sécurité juridique du vendeur-promoteur et protection de l’acquéreur, sans confondre délais de forclusion et prescriptions de responsabilité.

La décision, en outre, ne ferme pas la voie aux demandes indemnitaires accessoires qui ne procèdent pas de la garantie des vices apparents. Elle rappelle la recevabilité autonome de chefs tels que le préjudice moral ou de jouissance, dès lors qu’ils se rattachent à une inexécution contractuelle distincte du simple appareillage du régime des réserves. La cohérence d’ensemble se lit dans l’économie des textes et des délais applicables.

B. Incidences procédurales et gestion contentieuse des lots et intervenants

Sur le plan procédural, la poursuite de l’instance au fond impose un tri raisonné des fondements et des délais. La cour indique que les prétentions contre les constructeurs, pour autant qu’elles se fondent sur une faute non couverte par une réception sans réserve, s’inscrivent dans la prescription décennale de l’article 1792-4-3 du code civil. Cette orientation canalise les débats probatoires autour du lien de causalité et des réceptions intervenues, plutôt que sur des fins de non-recevoir globales. La mise hors de cause immédiate des intervenants est refusée, afin de permettre l’examen utile des imputations techniques et juridiques.

L’équilibre se reflète également dans les conséquences financières de l’instance d’appel. La cour, usant d’une formule classique, retient qu’« Il est équitable de laisser chacune des parties supporter la charge des frais irrépétibles d’appel qu’elle a exposés. » La répartition des dépens par tiers traduit la reconnaissance d’un succès seulement partiel des fins de non-recevoir, tout en ménageant la suite des opérations devant la juridiction de renvoi. L’ensemble conforte une pratique de contentieux de construction qui distingue nettement apparence, réception, et imputations, au service d’une instruction au fond ordonnée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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