Cour d’appel de Rennes, le 12 septembre 2025, n°24/01791

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La Cour d’appel de Rennes, chambre de l’expropriation, 12 septembre 2025, statue sur une expropriation partielle visant 985 m² d’un terrain d’agrément situé en zone urbaine, dans le cadre d’une opération d’aménagement. Le premier juge avait fixé l’indemnité principale à 68 950 euros, alloué des indemnités accessoires limitées, et refusé notamment l’indemnité de remploi. L’appel, déclaré recevable à la suite d’un revirement de la troisième chambre civile du 16 janvier 2025 (n° 23-20.925), porte sur la qualification du bien au regard de l’article L. 322-3 du Code de l’expropriation et sur l’évaluation des indemnités, principales et accessoires. Deux thèses s’opposaient quant à la constructibilité autonome de la parcelle au sein d’une zone couverte par une orientation d’aménagement et de programmation, ainsi que sur l’ampleur de la réparation au titre de la dépréciation du surplus et du remploi. La cour retient l’absence de qualification de terrain à bâtir, rehausse l’indemnité principale à 78 800 euros, accorde 20 000 euros pour la dépréciation du surplus, confirme 6 000 euros pour la clôture et 1 380 euros pour les arbres, et écarte le remploi.

La question posée tenait à la réunion des critères cumulatifs de l’article L. 322-3 pour qualifier un terrain à bâtir, en présence d’un projet d’ensemble imposant une desserte mutualisée, et à la méthode d’évaluation conduisant à une réparation intégrale mais non excessive. La solution répond en deux temps. D’une part, la cour exige une autonomie matérielle de desserte appréciée à l’échelle de l’opération, conduisant à refuser la qualification de terrain à bâtir. D’autre part, elle procède à une évaluation concrète des postes indemnitaires, en retenant des comparables pertinents et en encadrant les indemnités accessoires par le droit positif.

I. Qualification de la parcelle et critères de constructibilité

A. L’exigence cumulative d’un critère juridique et d’un critère matériel

La cour rappelle le standard de l’article L. 322-3, selon lequel « deux critères cumulatifs sont nécessaires pour qualifier un bien de terrain à bâtir ». Le premier, juridique, résulte de la situation en zone constructible, non décisive à elle seule. Le second, matériel, commande une desserte effective par des réseaux et un accès adaptés, à proximité immédiate, appréciés au regard de la capacité de construction. La solution s’inscrit dans une lecture stricte de la qualification, qui ne se déduit ni d’une simple inclusion en zone urbaine, ni d’un potentiel théorique lié à la pression foncière.

L’appréciation de la desserte se fait à la date de référence retenue par les parties, en tenant compte des contraintes de dimensionnement induites par le programme. La cour refuse de dissocier artificiellement la parcelle de l’unité foncière et de l’aire d’aménagement. Elle mobilise, avec sobriété, le critère d’autonomie des réseaux et de l’accès, ce qui ferme la voie à une qualification de constructibilité abstraite ou prospective.

B. L’appréciation in concreto de la desserte dans une opération d’ensemble

La juridiction du fond observe que « la parcelle réclamée ne dispose pas directement d’accès aux réseaux d’énergie ». Elle relève l’insuffisance du réseau existant au regard de l’ampleur du projet, la nécessité d’une réfection de voirie et l’implantation d’un transformateur pour une alimentation adéquate. Cette approche concrète neutralise l’argument tiré d’une proximité physique de réseaux sur des fonds voisins appartenant au même propriétaire, la cour exigeant une desserte autonome et adaptée.

La conclusion découle logiquement de ce contrôle. La cour retient que « l’accès à la voie publique […] apparaît nettement insuffisant, voire inapproprié au regard des contraintes » de l’opération, et en déduit l’absence de constructibilité au sens de l’article L. 322-3. Elle approuve ainsi le raisonnement du premier juge en ce qu’« il a justement écarté l’application […] de la qualification de terrain à bâtir », tout en sécurisant la motivation par la prise en compte des exigences techniques du projet d’ensemble.

II. Détermination des indemnités et principe de réparation intégrale

A. L’indemnité principale au prisme des comparables pertinents

En application de l’article L. 321-1, la cour vise l’indemnisation intégrale du préjudice direct, matériel et certain, à la date prévue à l’article L. 322-2. Elle relève le caractère de jardin clos, libre de toute construction, et une localisation privilégiée. Elle retient les ventes les plus proches en nature et caractéristiques, tout en écartant les mutations de terrains à bâtir pleins réseaux qui ne sont pas comparables au bien exproprié.

Au terme de cette comparaison, la cour affirme que « il convient de retenir un prix du m² de 80 euros », fixant l’indemnité à 78 800 euros. Cette solution synthétise la hausse locale des prix alléguée et le nécessaire évitement d’un enrichissement injustifié, en cohérence avec l’absence de constructibilité au sens de l’article L. 322-3. La motivation concilie ainsi les paramètres de situation, de consistance et de marché, au service d’une évaluation mesurée.

B. Les indemnités accessoires: remploi, dépréciation du surplus, clôture et végétation

S’agissant du remploi, l’article R. 322-5 exclut ce poste lorsque le bien était notoirement destiné à la vente. Sur la foi des stipulations antérieures, la cour retient la destination à la rétrocession de la bande litigieuse et conclut que « aucune indemnité de remploi ne saurait être allouée ». La solution, prudente, ferme la voie à une double réparation en présence d’un engagement de cession consenti antérieurement et opposable.

S’agissant de l’expropriation partielle, la cour rappelle que la dépréciation du surplus peut être allouée quelle que soit la nature du bien, la preuve de l’unité foncière incombant à l’exproprié (Civ. 3e, 4 avr. 2019, n° 18-10.989; Civ. 3e, 14 déc. 2010, n° 09-72.567). Appréciant les éléments produits, elle retient la perte d’agrément liée à l’amputation de 45,5 %, l’écran végétal disparu et le contexte urbain, et fixe que « la dépréciation de la valeur de la partie de la parcelle non expropriée peut être chiffrée à la somme de 20 000 euros ». La motivation refuse les évaluations théoriques excédant l’état des lieux, sans nier l’atteinte à la valeur des terrains bâtis restants.

Enfin, les postes de reconstruction de la clôture et de remplacement des plantations sont confirmés à 6 000 euros et 1 380 euros. La cour contrôle les devis au regard de la reconstitution à l’identique, et retient un chiffrage raisonnable des végétaux, en fonction de leur âge et de leur valeur de remplacement. L’ensemble préserve l’équilibre de la réparation intégrale, dans des bornes strictes et vérifiables.

La décision articule, avec constance, la rigueur des critères de l’article L. 322-3 et l’exigence d’une indemnisation exacte, ni inférieure ni excessive. Elle précise utilement la méthode d’appréciation de la desserte en contexte d’opération d’ensemble, et stabilise la grille indemnitaire par un usage discipliné des comparables et des accessoires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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