Cour d’appel de Papeete, le 14 août 2025, n°24/00120

La Cour d’appel de Papeete, le 14 août 2025 (n° RG 24/00120), statue sur l’étendue d’un appel dirigé contre un jugement mixte et sur la prescription du droit à indemnité d’éviction. Le litige naît d’un bail commercial ancien, cédé à plusieurs reprises, suivi d’un congé avec offre d’indemnité. Une expertise ordonnée en référé précède une instance au fond tendant à l’expulsion, à la fixation d’une indemnité d’occupation et au règlement de l’indemnité d’éviction.

Après le jugement de première instance du 29 janvier 2024, qui a retenu la recevabilité de l’action en indemnité d’éviction et rouvert les débats, l’appelante soutient la prescription biennale acquise et sollicite la fixation d’une indemnité d’occupation. L’intimée demande confirmation de la recevabilité, et l’irrecevabilité des demandes étrangères aux seules dispositions définitives du jugement mixte. La question est double. Elle concerne d’abord la portée d’un appel immédiat dirigé contre un jugement mixte. Elle vise ensuite l’effet interruptif d’une reconnaissance du droit à indemnité renforcée par une expertise judiciaire acceptée.

La cour rappelle, s’agissant de l’appel, que « l’appel peut être interjeté immédiatement sur les seules dispositions définitives d’un arrêt mixte ». Elle énonce, sur la prescription, que « le prescription est interrompue par la reconnaissance du droit.. » et ajoute que « La reconnaissance par la bailleresse du droit du preneur évincé à une indemnité d’éviction doublée de son accord quant à la réalisation d’une opération d’expertise interrompt le cours de la prescription qui ne recommence à courir qu’à la date du dépôt du rapport d’expertise ». En conséquence, « Seul ce point peut donc être soumis à la cour et les autres demandes doivent être déclarées irrecevables », et l’exception de prescription est écartée.

I. Délimitation de l’appel et office de la cour
A. L’appel immédiat des dispositions définitives d’un jugement mixte
Le raisonnement se fonde sur l’article 331 du code de procédure civile applicable en Polynésie française. La cour précise que l’appel ne peut porter que sur les chefs tranchant définitivement une prétention. Elle énonce sans détour que « l’appel peut être interjeté immédiatement sur les seules dispositions définitives d’un arrêt mixte ». Cette affirmation circonscrit l’office du juge d’appel à la seule question du droit à indemnité d’éviction, expressément tranchée dans le dispositif.

Ce choix s’explique par la nature même du jugement partiellement définitif et partiellement avant dire droit. La cour refuse d’étendre sa saisine à des points non jugés, afin de prévenir une dislocation des débats et d’assurer la cohérence de l’instance. L’autorité de la chose jugée partielle commande cette prudence méthodologique, sans préjudice d’un appel différé sur les chefs avant dire droit, une fois la décision définitive rendue.

B. L’irrecevabilité des prétentions étrangères au chef définitif
La conséquence s’impose logiquement. La cour retient que « Seul ce point peut donc être soumis à la cour et les autres demandes doivent être déclarées irrecevables ». L’appel relatif à l’indemnité d’occupation demeure ainsi irrecevable, car il vise un chef non encore jugé, renvoyé à la mise en état.

Cette solution préserve l’économie du procès. Elle évite une cassure de l’instance sur un élément accessoire, ici l’indemnité d’occupation, dont l’examen dépend encore d’instructions complémentaires. Elle rappelle la discipline de l’appel partiel en présence d’un jugement mixte, et sécurise l’ordonnancement des prétentions devant les juridictions de fond.

II. Prescription de l’indemnité d’éviction et effet de la reconnaissance
A. L’effet interruptif de la reconnaissance et l’articulation avec l’expertise
Sur le fond, l’appelante soutenait la prescription biennale acquise à compter de l’ordonnance de référé, invoquant la reprise du délai le 27 mai 2019. La cour retient au contraire qu’« en application de l’article 2248 du code civil dans sa version applicable en Polynésie française, le prescription est interrompue par la reconnaissance du droit.. ». Elle ajoute une précision décisive, en ces termes: « La reconnaissance par la bailleresse du droit du preneur évincé à une indemnité d’éviction doublée de son accord quant à la réalisation d’une opération d’expertise interrompt le cours de la prescription qui ne recommence à courir qu’à la date du dépôt du rapport d’expertise ».

L’arrêt combine donc deux éléments. La reconnaissance du droit à indemnité, qui produit un effet interruptif. L’accord sur une mesure d’expertise judiciaire, qui prolonge l’effet jusqu’au dépôt du rapport. Il en résulte un redémarrage du délai postérieurement à la remise des conclusions de l’expert, ce qui exclut la prescription au jour de la saisine du juge du fond.

B. Valeur et portée pratiques de la solution retenue
La solution renforce la protection du preneur évincé lorsque la liquidation de l’indemnité requiert des investigations techniques. Elle évite qu’une reconnaissance sérieuse, suivie d’une mesure d’instruction admise par les deux parties, n’aboutisse paradoxalement à une déchéance par inertie procédurale. Elle pose une règle claire de recomputation du délai, ancrée sur la date de dépôt du rapport.

Cette approche promeut la loyauté des débats en matière de baux commerciaux. Elle incite les parties à recourir utilement à l’expertise, sans redouter un échec lié aux aléas de durée. Elle comporte toutefois une exigence corrélative de vigilance. Les parties doivent surveiller la chronologie postérieure au rapport et, le cas échéant, diligenter promptement l’instance au fond pour éviter toute nouvelle discussion sur l’écoulement du délai.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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