Cour d’appel de Cayenne, le 31 juillet 2025, n°22/00263

La question des obligations respectives du bailleur et du preneur dans le cadre d’un bail commercial, notamment lorsque le local loué présente des non-conformités aux normes de sécurité, constitue une source de contentieux récurrent. La cour d’appel de Cayenne, dans un arrêt rendu le 31 juillet 2025, apporte un éclairage sur l’articulation entre l’exception d’inexécution invoquée par le preneur et les demandes de résiliation formées par le bailleur.

En l’espèce, un contrat de bail commercial a été conclu le 15 novembre 2019 pour une durée de neuf années, portant sur un local à usage commercial moyennant un loyer mensuel de 2 000 euros. Plus d’un an après la prise d’effet du bail, le preneur a relevé l’absence d’issues de secours dans les locaux loués. Il a suspendu le paiement du loyer du mois d’août 2021 en se prévalant de l’article 1220 du code civil. Les bailleurs ont alors fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 11 octobre 2021. Le preneur a assigné les bailleurs en référé, aux fins notamment de voir déclarer inopposable la clause résolutoire et de solliciter la désignation d’un expert. L’affaire a été renvoyée au fond.

Par jugement du 27 avril 2022, le tribunal judiciaire de Cayenne a ordonné la poursuite des relations contractuelles, rejeté les demandes de résolution judiciaire et les demandes indemnitaires des bailleurs, et condamné ces derniers aux dépens. Les bailleurs ont interjeté appel.

La cour d’appel de Cayenne, après avoir ordonné une expertise, devait statuer sur la question de savoir si le preneur pouvait valablement invoquer l’exception d’inexécution pour suspendre le paiement des loyers en raison du défaut de conformité du local aux normes de sécurité, et si les bailleurs étaient fondés à se prévaloir de l’acquisition de la clause résolutoire.

La cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la poursuite des relations contractuelles et rejeté les demandes de résiliation formées par les bailleurs. Elle statue également sur les demandes reconventionnelles du preneur relatives à la mise en conformité du local.

Cette décision présente un intérêt particulier en ce qu’elle précise les conditions d’application de l’exception d’inexécution dans le bail commercial (I) et rappelle l’étendue de l’obligation de délivrance conforme pesant sur le bailleur (II).

I. L’exception d’inexécution comme moyen de défense du preneur face à un local non conforme

La cour examine d’abord la légitimité du recours à l’exception d’inexécution par le preneur (A), avant d’en apprécier les effets sur l’acquisition de la clause résolutoire (B).

A. La légitimité de l’exception d’inexécution en présence d’un défaut de conformité

Les bailleurs soutenaient que « l’exception d’inexécution ne peut être mise en oeuvre par le preneur qui a continué à exercer son commerce dans les locaux, et qui n’était par conséquent pas fondé à suspendre les loyers ». Cette argumentation tendait à priver le preneur du bénéfice de ce mécanisme de justice privée au motif qu’il n’avait pas cessé son exploitation.

La cour d’appel ne retient pas cette analyse restrictive. L’article 1219 du code civil permet en effet à une partie de refuser d’exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. Le preneur, confronté à un local dépourvu d’issues de secours conformes aux normes du code de la construction et de l’habitation, se trouvait face à un manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un local conforme à sa destination.

La poursuite de l’exploitation commerciale par le preneur ne saurait lui faire perdre le droit d’invoquer l’exception d’inexécution. Cette solution se justifie par la nature même du bail commercial, où la cessation totale d’activité causerait au preneur un préjudice disproportionné par rapport au manquement qu’il entend sanctionner. Le preneur doit pouvoir proportionner sa réponse à l’inexécution du bailleur.

B. La neutralisation de la clause résolutoire par l’exception d’inexécution

Les bailleurs demandaient à la cour de « constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail, faute de paiement des causes du commandement de payer du 11 octobre 2021 visant la clause résolutoire ». Ils sollicitaient en conséquence la condamnation du preneur au paiement de la somme de 6 184,06 euros au titre des loyers impayés.

La cour refuse de faire droit à cette demande. Le commandement de payer visant la clause résolutoire ne peut produire ses effets lorsque le défaut de paiement trouve sa justification dans l’exception d’inexécution légitimement opposée par le preneur. La clause résolutoire, bien que stipulée au contrat, ne peut jouer automatiquement lorsque le créancier est lui-même défaillant dans l’exécution de ses propres obligations.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de faire prévaloir mécaniquement la clause résolutoire sur les droits du débiteur de bonne foi confronté à l’inexécution de son cocontractant. Le juge conserve un pouvoir d’appréciation sur les conditions d’acquisition de la clause résolutoire.

II. L’obligation de délivrance conforme du bailleur commercial

La cour précise ensuite le contenu de l’obligation de délivrance pesant sur le bailleur (A) et en tire les conséquences quant à la répartition des travaux de mise en conformité (B).

A. L’exigence de conformité du local aux normes de sécurité

L’expertise ordonnée par la cour a permis d’établir que le local loué ne respectait pas les normes de sécurité applicables aux établissements recevant du public. L’expert a notamment relevé l’absence d’issues de secours aux dimensions réglementaires, en méconnaissance des dispositions du code de la construction et de l’habitation.

L’article 1719 du code civil impose au bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée. Cette obligation de délivrance implique que le local soit conforme à sa destination contractuelle. Pour un local à usage commercial, cette conformité suppose le respect des normes de sécurité applicables.

Les bailleurs ne pouvaient se retrancher derrière le refus de créer des issues de secours donnant sur leurs parties privatives. L’obligation de délivrance conforme constitue une obligation essentielle du bailleur qui ne peut être écartée par des considérations de convenance personnelle. Le bailleur qui donne à bail un local commercial doit s’assurer que ce local répond aux exigences réglementaires permettant son exploitation.

B. L’imputation des travaux de mise en conformité au bailleur

La cour fait droit aux demandes du preneur tendant à voir condamner les bailleurs à la réalisation des travaux de mise en conformité. L’expert avait préconisé des « travaux structurels » et chiffré les réparations nécessaires à la somme de 33 672 euros, outre 7 000 euros.

Les bailleurs avaient certes donné acte de « leur acceptation des travaux structurels telle que préconisée par M. L’expert dans son rapport d’expertise du 16 octobre 2024 ». Toutefois, ils assortissaient cette acceptation de la condition que « lesdits travaux soient exécutés et finalisés sous une durée d’un mois » par le preneur lui-même.

La cour rejette cette prétention. Les travaux de mise en conformité aux normes de sécurité relèvent de l’obligation de délivrance du bailleur et non des réparations locatives incombant au preneur. Le bailleur ne peut reporter sur le preneur la charge de travaux qui lui incombent en vertu de la loi et du contrat. La mise en conformité du local aux normes de sécurité constitue un préalable à la délivrance d’un local conforme à sa destination commerciale.

Cette décision rappelle utilement que le bailleur commercial ne peut se contenter de mettre à disposition un local sans s’assurer de sa conformité aux normes impératives. L’exception d’inexécution constitue pour le preneur un moyen de contraindre le bailleur défaillant à respecter ses obligations, sans s’exposer aux effets de la clause résolutoire. La solution retenue assure un équilibre entre les droits des parties et sanctionne le bailleur qui manque à son obligation fondamentale de délivrance.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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