Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°21/17461

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La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, tranche un litige de voisinage relatif à un ouvrage édifié en contrebas d’un fonds voisin. L’instance met en cause la qualification de trouble anormal du voisinage imputé à des travaux présentés comme une consolidation de plateformes anciennes. Le premier juge, saisi au fond après expertise judiciaire entravée, avait ordonné une démolition partielle et alloué des dommages-intérêts.

Au fond, le tribunal judiciaire de Nice, le 30 septembre 2021, avait retenu l’existence d’un trouble en lien avec l’ouvrage implanté sur une parcelle précise, et avait prononcé des mesures de remise en état. En appel, l’auteur des travaux attaque ces condamnations, sollicite une expertise nouvelle, et demande des dommages-intérêts pour procédure abusive. Les intimés concluent à la confirmation, en se prévalant du rapport d’expertise et d’une perte de vue mer.

La question posée est double. D’abord, déterminer si la preuve d’un trouble anormal du voisinage est rapportée, indépendamment de toute faute d’urbanisme alléguée. Ensuite, apprécier les demandes incidentes relatives à l’expertise et à l’abus du droit d’agir. La solution retient l’absence d’anormalité démontrée et infirme les mesures de démolition et d’indemnisation, tout en confirmant le rejet de la demande pour procédure abusive.

La Cour rappelle le cadre du droit de propriété et du voisinage. Elle énonce: «La limite de ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu’à défaut, il en devra réparation, même en l’absence de faute.» Elle souligne le critère d’anormalité: «L’anormalité du trouble doit s’apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu’il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.»

I – L’exigence probatoire de l’anormalité du trouble

A – Le standard jurisprudentiel applicable

La Cour articule clairement l’autonomie du régime du voisinage par rapport à la faute. Elle insiste sur l’évaluation contextuelle du trouble, fondée sur des indices objectifs et sur l’intensité des atteintes. Dans cette logique, les griefs tirés d’un défaut de conformité administrative ne suffisent pas. La motivation distingue strictement la violation d’urbanisme et l’anormalité d’atteinte aux conditions normales d’occupation.

Cette distinction se lit dans la motivation suivante, particulièrement nette: «L’expert s’est attaché à démontrer l’existence de nombreuses infractions aux règles d’urbanisme […]. Toutefois la partie intimée fonde sa demande indemnitaire uniquement sur le fondement du trouble anormal du voisinage qui résulte de la démonstration objective d’un trouble indépendamment de toute notion de faute résultant d’une méconnaissance des règles d’urbanisme.» Le rappel recentre le débat sur la gravité objectivée du trouble et non sur la régularité formelle des travaux.

B – L’application aux éléments de fait produits

Les juges retiennent que les constats et photographies ne prouvent pas une atteinte grave et durable à la vue mer, au regard de la configuration du site. Ils relèvent la position en contrebas de l’ouvrage, l’état de gros œuvre, et la cote relative par rapport à la voie supérieure. La Cour considère que l’impact allégué n’est pas objectivé par les pièces versées, surtout après les difficultés d’accès de l’expert.

Deux extraits condensent cette appréciation serrée des preuves. D’abord: «Il n’est en effet pas caractérisé l’impact subi par sa parcelle du fait de la construction litigieuse, quand bien même elle se situerait dans un endroit offrant une vue mer panoramique.» Ensuite: «Les photographies versées aux débats ne conduisent aucunement à démontrer d’une part un droit absolu à la vue mer compte tenu du caractère urbanisé des lieux et d’autre part à un amoindrissement de la vue dont elle dispose toujours.» Le défaut de démonstration probatoire conduit à l’infirmation des mesures de démolition et d’indemnisation.

II – La portée de la décision: articulation procédurale et matérielle

A – L’autonomie du trouble vis-à-vis de l’urbanisme

La Cour distingue la voie indemnitaire de voisinage et les mécanismes propres au contrôle des règles d’urbanisme. L’office du juge saisi du voisinage se borne à apprécier l’anormalité du trouble, sans présumer celle-ci d’éventuelles illégalités administratives. La motivation neutralise l’idée d’un droit acquis à une vue mer, et privilégie une analyse concrète des circonstances locales, en présence d’un environnement urbanisé.

Ce recentrage réaffirme la finalité du régime objectif du voisinage. L’arrêt écarte une assimilation impropre entre non-conformité urbanistique et trouble indemnisable. Il consolide une méthode probatoire rigoureuse, exigeant des éléments comparatifs pertinents sur la situation antérieure et l’ampleur de l’atteinte. Faute d’une telle démonstration, la demande indemnitaire échoue, malgré la situation géographique valorisée par les intimés.

B – Les enseignements procéduraux: maîtrise de l’instruction et abus d’ester

La Cour précise la compétence et l’office du conseiller de la mise en état en matière d’incidents. Elle rappelle textuellement: «En vertu de l’article 789 du Code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le Conseiller de la mise en état est seul compétent pour statuer sur les fins de-non-recevoir et les exceptions de procédure.» Elle ajoute: «L’article 907 du Code de procédure civile énonce que le Conseiller de la mise en état dispose des pouvoirs reconnus au Juge de la mise en état et instruit en conséquence l’affaire dans les conditions des articles 780 à 807 du même Code.»

Au cas d’espèce, la Cour assume sa compétence pour rejeter une demande d’expertise tardive, non étayée par des pièces nouvelles, déjà refusée par ordonnance antérieure. La motivation est précise: «En considération de l’absence de productions de pièces accompagnant la demande d’expertise […] et de son caractère tardif […], il conviendra de dire n’y avoir lieu à saisir le conseiller de la mise en état et de dire que la cour est compétente pour statuer sur la nouvelle demande d’expertise judiciaire prise en compte par la nouvelle clôture des débats.» L’économie de la procédure l’emporte, au bénéfice de la stabilité de l’instruction.

Enfin, la Cour retient une appréciation stricte de l’abus du droit d’agir, en exigeant une démonstration circonstanciée. Elle énonce: «Il est constant que l’exercice d’une action en justice constitue un droit, qui ne peut dégénérer en abus que s’il est démontré une volonté de nuire […] ou une erreur ou négligence blâmable équipollente au dol […].» En l’absence d’éléments objectifs sur une intention malveillante ou une mauvaise foi caractérisée, la demande indemnitaire formée à ce titre demeure justement rejetée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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