Cour d’appel administrative de Douai, le 11 juin 2025, n°23DA01555

La cour administrative d’appel de Douai, dans sa décision rendue le 11 juin 2025, apporte des précisions essentielles sur la qualification juridique des déchets environnementaux. Le litige opposait des particuliers à une autorité municipale au sujet de l’entreposage prolongé de matériaux de construction sur une parcelle appartenant à la collectivité. Constatant l’encombrement persistant du terrain, le maire a ordonné l’évacuation des biens avant de prescrire une consignation financière pour l’exécution d’office des travaux. Les requérants ont sollicité l’annulation de ces arrêtés devant le tribunal administratif d’Amiens qui a rejeté leur demande par un jugement du 8 juin 2023. La juridiction d’appel devait ainsi déterminer si des matériaux conservant une valeur marchande peuvent être qualifiés de déchets au sens du code de l’environnement. La cour confirme la position des premiers juges en estimant que l’état d’abandon et l’absence de réutilisation certaine caractérisent le déchet. La définition matérielle du déchet repose ici sur un constat d’abandon objectif (I) qui justifie l’exercice rigoureux des pouvoirs de police (II).

I. La qualification matérielle du déchet fondée sur l’état d’abandon

A. La prééminence du constat physique de la dégradation

Le juge définit le déchet comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». Pour apprécier cette qualification, la cour retient des critères concrets tels que l’état de dégradation, la perte d’usage et la durée du dépôt. Elle souligne que les matériaux étaient « en partie recouverts de mousse, lierre, rouille ou moisissure », ce qui manifeste une ancienneté incompatible avec un usage normal. L’état d’abandon est alors déduit des conditions de stockage à l’air libre sans protection particulière pour les briques et les parpaings litigieux. Cette approche pragmatique permet de neutraliser la volonté purement subjective du détenteur au profit d’une analyse factuelle de la situation sur le terrain. La réalité physique des biens prime ainsi sur l’intention affichée par leur propriétaire de les conserver pour un usage futur indéterminé.

B. L’exigence d’une certitude de réutilisation sans transformation

La cour précise que l’estimation de la valeur commerciale des matériaux « est sans incidence sur l’appréciation de leur qualité de déchets » au sens juridique. Le détenteur doit démontrer le « caractère suffisamment certain d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable » pour échapper à cette qualification administrative. En l’espèce, les projets de construction invoqués pour les membres de la famille ne reposaient sur aucun élément probant permettant d’établir la réalité des travaux. Les seules affirmations du propriétaire indiquant qu’il n’avait pas l’intention de se défaire des biens ne suffisent pas à contredire le constat d’abandon. La certitude de la réutilisation devient ainsi le pivot juridique séparant le matériau de construction du résidu encombrant dont l’élimination est obligatoire. Cette exigence de preuve renforce l’efficacité de la protection de l’environnement contre le stockage illicite de matériaux vétustes ou devenus inutiles.

II. La validité procédurale des mesures de police environnementale

A. Le plein contrôle du juge sur la police des déchets

L’autorité titulaire du pouvoir de police dispose de prérogatives importantes pour assurer l’élimination des dépôts présentant des dangers pour la sécurité ou l’environnement. Le maire peut ordonner la consignation d’une somme d’argent correspondant au montant des mesures prescrites après une mise en demeure restée sans effet. La cour administrative d’appel exerce un « plein contrôle sur le respect de l’obligation » incombant à l’autorité municipale d’agir contre les pollutions potentielles. Cette intensité du contrôle juridictionnel garantit que les sanctions pécuniaires et les mesures d’exécution d’office ne sont pas prises de manière arbitraire. La procédure est validée dès lors que les observations du détenteur ne comportent aucun élément de nature à faire obstacle à l’enlèvement nécessaire. Le juge vérifie ainsi la proportionnalité de la réponse administrative face à l’inertie du producteur ou du détenteur des déchets incriminés.

B. L’exclusion de la voie de fait dans l’exercice des pouvoirs légaux

Le recours à l’exécution d’office se rattache à la mission de police spéciale confiée au maire pour prévenir les installations illégales de stockage. Les appelants n’établissent pas d’atteinte grave au droit de propriété qui serait « manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ». L’intervention municipale s’inscrit dans un but d’intérêt général visant à protéger la salubrité de la commune et à préserver l’esthétique du village. Le grief relatif au détournement de pouvoir est également écarté en l’absence de preuves formelles d’une animosité personnelle de la part des élus. La décision confirme la primauté des impératifs écologiques sur la conservation désordonnée de matériaux dégradés sur le domaine public d’une collectivité locale. La mise en œuvre des pouvoirs de police environnementale apparaît donc régulière tant que la procédure contradictoire préalable a été scrupuleusement respectée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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