Le Conseil constitutionnel a rendu le 20 janvier 1993 une décision majeure relative à la prévention de la corruption et à la transparence économique. Cette décision n° 92-316 DC examine la conformité à la Constitution d’un texte législatif visant à renforcer la probité dans la vie publique. Les auteurs des saisines critiquaient de nombreuses dispositions portant sur la procédure législative ainsi que sur le fond du texte soumis à examen. Ils invoquaient notamment la méconnaissance du droit d’amendement, de la liberté individuelle, du droit de propriété et du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Le litige s’est cristallisé autour de l’introduction de plusieurs articles par voie d’amendement lors des débats parlementaires sans lien avec l’objet initial du projet. Sur le fond, les requérants contestaient les pouvoirs d’investigation d’un nouveau service administratif ainsi que les restrictions imposées aux contrats de délégation de service public. La question posée au juge constitutionnel consistait à déterminer si le législateur peut imposer des mesures de transparence sans porter une atteinte excessive aux libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel a prononcé une censure partielle de la loi en encadrant strictement les prérogatives administratives et en protégeant l’autonomie des acteurs locaux.
I. La régulation de la procédure législative et des pouvoirs d’enquête
A. La sanction des cavaliers législatifs et le respect du droit d’amendement
Le Conseil constitutionnel rappelle que le droit d’amendement doit s’exercer dans le respect des exigences constitutionnelles relatives à la clarté et à la loyauté des débats. Il précise que les modifications apportées au texte initial ne sauraient être « sans lien avec ce dernier » ni dépasser l’objet de la procédure spécifique d’amendement. Cette exigence constitutionnelle impose une cohérence minimale entre le projet déposé par le Gouvernement et les adjonctions opérées par les membres du Parlement durant la discussion.
Le juge censure ainsi les articles relatifs au droit au bail, au régime du permis de démolir et aux contestations des inscriptions sur les listes électorales. Il considère que ces dispositions sont « dépourvues de lien avec le texte soumis à la délibération des assemblées » qui portait exclusivement sur la prévention de la corruption. Cette jurisprudence protège la clarté de la loi en évitant l’insertion de mesures totalement étrangères à l’ambition initiale portée par le projet de loi d’orientation.
B. L’encadrement des prérogatives du service central de prévention de la corruption
Le législateur souhaitait doter un service administratif de pouvoirs étendus pour centraliser les informations nécessaires à la détection d’infractions graves à la probité publique. Le Conseil constitutionnel valide l’existence de cet organe sous réserve que ses missions ne se substituent pas à celles relevant de l’autorité judiciaire compétente. Il relève toutefois que la définition des mesures d’investigation technique est trop imprécise pour garantir le respect effectif de la liberté individuelle des citoyens concernés.
La décision censure notamment le droit d’obtenir communication de tout document sans motivation préalable ni restriction quant à l’ancienneté des pièces demandées par l’administration. Le juge estime que « les dispositions de l’article 5 sont de nature à méconnaître le respect de la liberté personnelle et à porter des atteintes excessives au droit de propriété ». L’absence de garanties procédurales suffisantes, comme le droit de se faire assister par un conseil, rend ces prérogatives contraires aux exigences de l’État de droit.
II. La conciliation entre transparence économique et libertés publiques
A. L’application nuancée du principe d’égalité dans les rapports économiques
Le Conseil constitutionnel examine les restrictions apportées à la liberté d’entreprendre au nom de l’objectif général de transparence économique poursuivi par le législateur national. Il admet que la loi puisse imposer des modalités contraignantes aux contrats de publicité ou aux délégations de service public sans dénaturer la liberté contractuelle. Le juge constitutionnel considère que ces limitations sont « exigées par l’intérêt général » et ne revêtent pas un caractère manifestement disproportionné au regard du but recherché.
Toutefois, le principe d’égalité s’oppose à ce que certaines structures bénéficient d’exemptions injustifiées lors de la passation de contrats publics ou de prestations de services. Le Conseil censure ainsi les dispositions excluant les sociétés dont le capital est majoritairement détenu par la collectivité délégante du champ d’application de la loi. Il affirme que ces différences de traitement ne reposent sur aucun critère objectif en rapport avec les « objectifs de transparence et de concurrence poursuivis par la loi ».
B. La préservation de la libre administration des collectivités territoriales
La liberté des collectivités territoriales de s’administrer par des conseils élus constitue un principe de valeur constitutionnelle qui limite l’intervention du pouvoir législatif national. Le législateur peut fixer la durée des délégations de service public mais il ne doit pas restreindre excessivement la marge de manoeuvre des autorités locales. Le Conseil censure la règle imposant une limite rigide aux prolongations de conventions sans égard à la diversité des situations ou à la complexité des investissements.
Enfin, la décision invalide l’article prévoyant une suspension automatique des actes des collectivités locales pendant trois mois sur simple demande du représentant de l’État. Le juge estime que ce dispositif prive de « garanties suffisantes l’exercice de la libre administration des collectivités locales » tel que prévu par l’article 72 de la Constitution. Cette protection assure que le contrôle administratif ne devienne pas une tutelle arbitraire susceptible d’interrompre durablement la mise en œuvre des politiques publiques décentralisées.