Le Conseil constitutionnel a rendu, le 5 juin 2025, la décision n° 2025-1141 QPC relative à l’article L. 1127-3 du code général de la propriété des personnes publiques. Ces dispositions prévoient une procédure de transfert de propriété des bateaux présumés abandonnés sur le domaine public fluvial au profit de son gestionnaire. Le Conseil d’État a saisi la juridiction constitutionnelle par une décision n° 499901 rendue le 12 mars 2025 pour examiner cette question prioritaire. Le litige porte sur la possible méconnaissance du droit de propriété, du principe de légalité des peines ainsi que de l’inviolabilité du domicile de l’occupant. Les juges constitutionnels devaient déterminer si l’absence de mesures d’entretien justifiait une telle atteinte aux droits fondamentaux sans intervention préalable du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions conformes à la Constitution, tout en émettant une réserve d’interprétation significative concernant la protection du domicile. Cette étude portera d’abord sur la validation de la procédure administrative de transfert de propriété avant d’analyser la protection renforcée du domicile.
I. La qualification de mesure de police administrative protectrice du domaine
A. L’éviction du caractère répressif du transfert de propriété
Le requérant soutenait que le transfert de propriété constituait une sanction ayant le caractère d’une punition méconnaissant le principe de légalité des délits. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en considérant que les dispositions contestées « n’instituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition ». Ces mesures visent exclusivement à « assurer la protection de ce domaine et de garantir la sécurité de la navigation fluviale » dans un but purement utilitaire. L’autorité administrative dispose ainsi d’un outil de gestion visant à libérer les dépendances publiques des navires entravant le bon usage du domaine fluvial. La haute juridiction refuse d’appliquer les exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 à un mécanisme dépourvu de toute finalité répressive.
B. L’encadrement proportionné de l’atteinte au droit de propriété
Le Conseil affirme que le transfert de propriété n’entraîne pas une privation au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789. Il s’agit d’une atteinte justifiée par un motif d’intérêt général lié à la conservation du domaine et à la sécurité des usagers. Le propriétaire dispose d’un délai de six mois pour « se manifester et de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser l’état d’abandon ». La procédure prévoit également un affichage sur le bien et une notification personnelle au dernier titulaire connu afin de garantir ses droits. Enfin, l’existence d’un recours devant le juge administratif permet de suspendre l’exécution de l’acte en cas de méconnaissance d’une liberté fondamentale. La mesure apparaît donc proportionnée aux objectifs de préservation de l’intégrité du domaine public fluvial poursuivis par le législateur national.
II. L’encadrement de l’exécution matérielle du transfert de propriété
A. Le constat de l’absence d’effet automatique sur l’expulsion
Les juges constitutionnels précisent que le dernier alinéa de l’article L. 1127-3 du code n’autorise pas directement l’expulsion de l’occupant d’un bateau. Les dispositions « n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d’autoriser l’expulsion de l’éventuel occupant d’un bateau à usage d’habitation ». Le transfert de propriété au gestionnaire n’emporte donc pas automatiquement la perte du droit à la jouissance du domicile pour la personne concernée. Cette précision textuelle vise à rassurer sur la portée limitée de la loi qui concerne principalement le régime de propriété des navires délaissés. Le Conseil distingue ainsi la gestion domaniale de la police des occupants afin de préserver l’intégrité du droit au respect de la vie privée.
B. La consécration d’une réserve d’interprétation protectrice de l’occupant
Le Conseil constitutionnel assortit sa décision d’une réserve impérative interdisant la destruction du bien sans examen préalable de la situation de son occupant. Le gestionnaire ne peut détruire un navire « sans tenir compte de la situation personnelle ou familiale de l’occupant » lorsque celui-ci y a son domicile. Cette protection s’appuie sur l’article 2 de la Déclaration de 1789 qui garantit l’inviolabilité du domicile comme composante essentielle de la liberté individuelle. L’autorité administrative doit désormais concilier les impératifs de sécurité de la navigation avec les droits fondamentaux des personnes résidant sur les voies navigables. Par cette réserve, la juridiction évite une application trop brutale de la loi qui conduirait à une atteinte disproportionnée aux conditions de vie des occupants. Les dispositions contestées sont ainsi déclarées conformes à la Constitution sous réserve du respect strict de cette exigence particulière de dignité humaine.