Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-899 QPC du 23 avril 2021

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 23 avril 2021, une décision relative à la conformité de l’article 225-25 du code pénal aux droits et libertés constitutionnels. La juridiction était saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 3 février 2021. Le litige initial concernait des individus poursuivis pour des faits de proxénétisme ayant entraîné la confiscation de biens dont ils n’étaient pas propriétaires. Les requérants soutenaient que le texte permettait de saisir les biens d’un tiers sans que ce dernier puisse faire valoir ses observations devant le juge. La question posée au Conseil constitutionnel portait sur l’atteinte éventuelle au droit à un recours juridictionnel effectif et au respect des droits de la défense. Les juges de la rue de Montpensier ont censuré la disposition litigieuse tout en aménageant la date de son abrogation effective dans le temps. L’examen du sens de cette décision commande d’étudier la protection constitutionnelle du droit de propriété des tiers avant d’analyser les conséquences de l’inconstitutionnalité.

I. La protection constitutionnelle du droit de propriété des tiers

A. L’insuffisance des garanties procédurales lors de la confiscation

L’article 225-25 du code pénal dispose que la confiscation peut porter sur des biens dont le condamné a seulement « la libre disposition ». Cette mesure de sûreté réelle affecte directement le patrimoine d’un tiers sans que ce dernier ne soit nécessairement partie à l’instance pénale. Le texte réserve certes les droits du propriétaire de bonne foi, mais il ne précise aucunement les modalités d’exercice de cette garantie. La procédure ne prévoit pas l’information systématique du propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité durant l’enquête. Le Conseil constitutionnel souligne que « ni ces dispositions ni aucune autre disposition » ne permettent au propriétaire de présenter ses observations devant la juridiction. L’absence de débat contradictoire sur la bonne foi du propriétaire constitue une lacune sérieuse dans l’ordonnancement juridique relatif aux peines complémentaires. Cette méconnaissance des droits de la défense fragilise l’équilibre nécessaire entre la répression des infractions et la sauvegarde des libertés fondamentales.

B. La sanction de l’omission législative au regard de l’article 16 de la Déclaration de 1789

La censure prononcée se fonde exclusivement sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant le recours effectif. Le législateur a omis de fixer les règles assurant que la personne intéressée puisse contester utilement la mesure de confiscation envisagée par le tribunal. Cette incompétence négative affecte directement le droit des tiers à protéger leurs biens contre une dépossession arbitraire ou insuffisamment motivée par les faits. Le Conseil affirme que la loi doit impérativement permettre au propriétaire de « faire valoir le droit qu’il revendique et sa bonne foi » durant le procès. La décision rappelle que toute privation de propriété ou atteinte aux droits patrimoniaux exige des garanties procédurales suffisantes pour assurer un procès équitable. L’inconstitutionnalité découle ainsi du silence de la loi sur l’intervention volontaire ou provoquée du tiers propriétaire lors de l’audience de jugement. La reconnaissance de ce vice de procédure entraîne nécessairement une remise en cause de l’efficacité immédiate des sanctions pénales patrimoniales.

II. Les conséquences de l’inconstitutionnalité sur l’efficacité de la répression

A. Une nécessaire mise en cohérence des droits de la défense

Le juge constitutionnel impose au législateur une intervention pour concilier l’efficacité de la lutte contre le proxénétisme avec le respect des droits fondamentaux. La confiscation des biens mis à disposition reste un outil essentiel pour tarir les flux financiers issus de la traite des êtres humains. Toutefois, l’automaticité de la mesure ou l’impossibilité pour un tiers d’être entendu heurte frontalement les principes de la procédure pénale moderne. L’exigence de mise en mesure de présenter des observations garantit que la peine ne frappe pas injustement une personne étrangère à l’activité criminelle. Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large visant à renforcer la protection des tiers victimes de mesures de justice. Elle oblige les juridictions de jugement à vérifier scrupuleusement l’origine des fonds et la qualité des détenteurs avant de prononcer une confiscation définitive. Le respect du contradictoire devient ainsi une condition sine qua non de la validité constitutionnelle des sanctions patrimoniales dans le code pénal.

B. Le report des effets de l’abrogation pour préserver l’ordre public

Le Conseil constitutionnel utilise son pouvoir de modulation dans le temps en reportant l’abrogation de la disposition litigieuse au 31 décembre 2021. Les juges estiment qu’une « abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives » pour la continuité de l’action publique. Cette prudence vise à éviter un vide juridique qui paralyserait les procédures de confiscation en cours pour les faits de proxénétisme aggravé. Le législateur dispose ainsi d’un délai de plusieurs mois pour introduire dans le code de procédure pénale les garanties exigées par la décision. La sécurité juridique impose également que les mesures prises avant la publication de la décision ne puissent être contestées sur ce fondement spécifique. Cette technique de report illustre la volonté de la juridiction constitutionnelle de ne pas désarmer l’État face à la grande criminalité organisée. La protection des droits de la défense se trouve donc différée pour permettre une transition législative sereine et conforme aux impératifs constitutionnels.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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