1ère chambre du Conseil d’État, le 16 juin 2025, n°497805

Le Conseil d’État a rendu, le 16 juin 2025, une décision précisant les conditions de notification des recours administratifs en matière d’urbanisme. Par un arrêté du 2 août 2022, une autorité municipale a délivré un permis de construire pour la réalisation d’un immeuble d’habitation collectif. Le requérant a formé un recours gracieux le 29 septembre 2022, avant de saisir la juridiction administrative d’une demande d’annulation. Le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande le 12 juillet 2024, jugeant le recours contentieux tardif. Les juges de première instance ont estimé que la notification du recours gracieux était irrégulière car effectuée à une adresse erronée. Le requérant s’est alors pourvu en cassation devant la Haute Juridiction administrative pour obtenir l’annulation de ce jugement. La question posée est de savoir si la notification à une entité liée au bénéficiaire peut valablement interrompre le délai de recours. Le Conseil d’État censure la position des premiers juges en retenant une approche concrète des liens existants entre les sociétés. L’assouplissement des formalités de notification s’accompagne d’une réflexion nécessaire sur la portée de cette solution pour la sécurité juridique.

I. L’assouplissement des formalités de notification du recours administratif

A. Une exigence textuelle de notification au titulaire de l’autorisation

L’article R. 600-1 du code de l’urbanisme impose à l’auteur d’un recours administratif de le notifier à l’auteur de la décision et au titulaire. Cette obligation réglementaire vise à « assurer une meilleure sécurité juridique des bénéficiaires d’autorisations d’urbanisme » en les informant rapidement des contestations. En l’espèce, le requérant n’avait pas envoyé la notification au siège social de la société bénéficiaire mentionné dans l’arrêté du permis. Il avait privilégié l’adresse d’un établissement secondaire d’une autre société appartenant au même groupe immobilier que le titulaire. Le tribunal administratif de Pau avait retenu une interprétation stricte de cette règle pour déclarer la requête irrecevable en première instance. Cette rigueur procédurale semblait conforme à la lettre des dispositions protégeant les détenteurs d’un permis de construire contre les recours tardifs.

B. La reconnaissance de la régularité par les circonstances de l’espèce

Le Conseil d’État s’écarte d’une lecture purement formaliste pour s’attacher à la réalité opérationnelle des entités concernées par le projet de construction. Les magistrats soulignent que les deux sociétés « ont leur siège social à la même adresse et ont le même associé-gérant ». Des salariés de l’établissement secondaire s’étaient d’ailleurs présentés auprès du requérant comme étant directement « chargés du projet litigieux ». Dans ces « circonstances particulières de l’espèce », la notification ne pouvait être regardée comme irrégulièrement accomplie par l’auteur du recours gracieux. La Haute Juridiction administrative sanctionne ainsi une dénaturation des faits par le tribunal ayant ignoré la porosité structurelle entre les entreprises. Cette solution privilégie le droit au recours lorsque l’information du bénéficiaire est effectivement assurée malgré une simple erreur d’adressage.

II. La préservation de la sécurité juridique par une approche pragmatique

A. Une appréciation fondée sur la transparence des structures juridiques

La décision met en lumière l’importance des liens organiques et fonctionnels entre le bénéficiaire apparent et le destinataire réel de la notification. Le juge administratif refuse de laisser une opacité sociétaire faire obstacle à la recevabilité d’un recours formé de bonne foi. L’identité de direction et de siège social crée une présomption de transmission effective de l’information entre les branches du groupe. Cette approche pragmatique évite que des erreurs purement formelles n’entraînent des conséquences disproportionnées pour les administrés contestant une autorisation d’urbanisme. Elle rappelle que la finalité de l’article R. 600-1 est l’information du titulaire et non l’instauration d’un piège procédural complexe. La transparence des structures devient un critère essentiel pour apprécier la validité des actes de procédure transmis par les tiers.

B. L’équilibre maintenu entre droit au recours et stabilité des autorisations

L’annulation du jugement de première instance ne remet pas en cause l’obligation de notification mais en définit précisément les marges de tolérance. Le Conseil d’État maintient l’exigence de sécurité juridique tout en empêchant son utilisation abusive par les promoteurs immobiliers en cause. La solution rendue le 16 juin 2025 sécurise les requérants confrontés à des montages juridiques complexes où plusieurs entités distinctes interviennent. Il appartient désormais aux tribunaux administratifs d’examiner avec précision les modalités d’organisation interne des sociétés bénéficiaires d’une autorisation. Cette jurisprudence limite les risques d’irrecevabilité pour les tiers dont les diligences ont permis d’atteindre l’objectif d’information du titulaire. La stabilité des permis de construire demeure protégée sans pour autant sacrifier le contrôle de légalité sur l’autel du formalisme.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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