Tribunal judiciaire de Toulouse, le 20 juin 2025, n°23/00635

La décision qui m’est soumise est un jugement du Tribunal judiciaire de Toulouse du 20 juin 2025 relatif à la garantie des vices cachés dans le cadre d’une vente de véhicule d’occasion. L’acquéreur avait acheté un véhicule BMW pour 8 200 euros auprès d’un vendeur professionnel. Dix mois plus tard, le véhicule tombait en panne sur l’autoroute en raison d’une casse du bloc moteur. Après expertise judiciaire, l’acquéreur sollicitait la résolution de la vente. Le vendeur contestait l’existence d’un vice caché. Le tribunal a fait droit à la demande de résolution en retenant l’existence d’un vice caché antérieur à la vente.

S’agissant des faits, un particulier acquiert le 17 octobre 2018 un véhicule d’occasion auprès d’un vendeur professionnel pour un prix de 8 200 euros. Le 24 août 2019, soit dix mois après l’achat et après avoir parcouru 14 000 kilomètres, le véhicule tombe en panne sur l’autoroute. Le bloc moteur est troué en raison d’une casse de bielle. L’acquéreur met en demeure le vendeur par courrier du 16 septembre 2019, sans obtenir de réponse. Une expertise amiable est diligentée le 2 juillet 2020.

Quant à la procédure, l’acquéreur assigne le vendeur en référé le 9 octobre 2020. Par ordonnance du 18 février 2021, le juge des référés ordonne une expertise judiciaire. L’expert dépose son rapport définitif le 20 novembre 2022. Par acte du 9 février 2023, l’acquéreur assigne le vendeur au fond devant le Tribunal judiciaire de Toulouse, sollicitant la résolution de la vente et l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le vendeur conclut au débouté, contestant l’existence d’un vice caché.

La question de droit posée au tribunal était la suivante : une consommation excessive d’huile moteur, non décelable par l’acquéreur profane lors de l’achat mais existant antérieurement à la vente, constitue-t-elle un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil lorsqu’elle provoque ultérieurement la destruction du moteur ?

Le tribunal répond par l’affirmative. Il retient que le vice caché est établi par la combinaison des témoignages de l’ancien propriétaire attestant d’une consommation d’huile préexistante, des rapports d’expertise démontrant le lien entre cette consommation et la casse de bielle, et de l’absence de justification par le vendeur de réparations effectuées avant la vente. La résolution est prononcée avec restitution du prix.

Il convient d’examiner la caractérisation du vice caché malgré un rapport d’expertise judiciaire insuffisant (I), puis les modalités d’indemnisation de l’acquéreur évincé (II).

I. La caractérisation pragmatique du vice caché en présence d’une expertise judiciaire lacunaire

A. Le dépassement des conclusions insuffisantes de l’expertise judiciaire

Le tribunal adopte une démarche remarquable en ce qu’il s’écarte des conclusions de l’expert judiciaire pour fonder sa décision sur d’autres éléments de preuve. L’expert avait certes affirmé que « le vice était bien présent lors de la vente » et qu’« il n’était pas décelable et présentait les caractéristiques d’un vice caché ». Ces affirmations péremptoires n’étaient cependant pas étayées par une démonstration technique suffisante.

Le tribunal relève avec justesse que « l’expert ne donne qu’une explication hypothétique à l’origine de la casse de la bielle et ne donne aucun élément technique de nature à justifier qu’un vice aurait atteint cette bielle ou une autre pièce à la date d’acquisition ». Cette analyse critique du rapport d’expertise témoigne de l’office du juge qui ne saurait être lié par les conclusions d’un technicien, fussent-elles favorables au demandeur.

La difficulté probatoire était réelle. Dix mois s’étaient écoulés entre la vente et la panne. Le véhicule avait parcouru 14 000 kilomètres sans que l’acquéreur ne formule de plainte. L’expert ne faisait « aucun lien entre la consommation d’huile du véhicule et la panne survenue en lien avec la casse de la bielle ». Ces éléments auraient pu conduire au rejet de l’action.

Le juge a toutefois refusé de s’en tenir à ces seules constatations. Il a procédé à une analyse globale du dossier, confrontant l’expertise judiciaire aux autres pièces produites. Cette méthode illustre le pouvoir souverain du juge du fond dans l’appréciation des éléments de preuve.

B. La reconstitution probatoire par le faisceau d’indices concordants

Le tribunal reconstruit la preuve du vice caché à partir de trois sources distinctes. Le témoignage de l’ancien propriétaire atteste que « la voiture consommait de l’huile, avait de gros problèmes de démarrage et les gaz d’échappement sentaient très mauvais ». Ce témoignage établit l’antériorité du défaut à la vente litigieuse.

Les expertises amiables viennent compléter ce témoignage. Le rapport de l’expert privé retient que « la rupture d’une bielle provient généralement d’une anomalie moteur provenant souvent d’un problème de lubrification, qualité et quantité ». Un second rapport conclut que « l’origine de la panne est une consommation d’huile existante avant l’achat du véhicule » et établit un « lien de causalité technique » entre la consommation d’huile excessive et la casse moteur.

Le tribunal parachève son raisonnement en relevant que « de l’huile est présente sur le soubassement jusqu’à l’arrière du véhicule, sur la partie avant des bras arrière G et D, sur le réservoir de carburant, sur la ligne d’échappement où des gouttelettes en suspension ». Ces traces physiques corroborent l’existence d’une fuite d’huile chronique.

Le vendeur professionnel ne justifiait pas « d’éventuelles réparations ou interventions réalisées sur le véhicule avant cette vente de nature à remédier à ce problème de consommation d’huile ». Cette absence de justification pèse contre lui dans l’économie de la décision.

II. Les conséquences de la garantie des vices cachés appliquées au vendeur professionnel

A. La résolution de la vente et les restitutions réciproques

Le tribunal prononce la résolution de la vente conformément à l’article 1644 du Code civil qui offre à l’acheteur le choix entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire. L’acquéreur avait opté pour la première branche de l’alternative, sollicitant la restitution intégrale du prix contre remise du véhicule.

Le jugement condamne le vendeur à rembourser la somme de 8 200 euros correspondant au prix d’achat. Cette restitution est le corollaire nécessaire de la résolution. Le tribunal ordonne également « la restitution du véhicule, corollaire nécessaire de la restitution du prix de vente en cas de résolution de la vente ». Le caractère synallagmatique des restitutions est ainsi respecté.

La demande d’astreinte de 500 euros par jour de retard pour la récupération du véhicule par le vendeur n’est pas tranchée dans l’extrait de la décision communiqué. Cette demande visait à contraindre le professionnel à exécuter son obligation de reprendre le bien. L’astreinte aurait constitué une mesure de pression efficace face à un vendeur qui n’avait pas répondu à la mise en demeure initiale.

Les frais d’immatriculation de 221,76 euros constituent des « frais occasionnés par la vente » au sens de l’article 1646 du Code civil. Leur remboursement s’impose même lorsque le vendeur ignorait les vices. Ces frais sont directement liés à l’acquisition et n’auraient pas été exposés sans la vente viciée.

B. La question de la bonne ou mauvaise foi du vendeur professionnel

La distinction entre vendeur de bonne foi et vendeur de mauvaise foi emporte des conséquences considérables sur l’étendue de l’indemnisation. L’article 1645 du Code civil dispose que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur ». L’article 1646 limite en revanche l’indemnisation du vendeur de bonne foi aux seuls frais occasionnés par la vente.

Une présomption irréfragable de connaissance des vices pèse sur le vendeur professionnel depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre 2008. Le vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose qu’il vend, sans pouvoir apporter la preuve contraire. Cette présomption se justifie par la compétence technique que le professionnel est censé détenir.

En l’espèce, la SARL OPTION AUTO est un vendeur professionnel de véhicules d’occasion. Elle ne pouvait donc invoquer son ignorance du vice pour limiter l’indemnisation aux frais de la vente. L’acquéreur sollicitait à ce titre un préjudice de jouissance de 13 267 euros, des frais d’assurance de 3 314,95 euros, des frais de remorquage de 1 384,69 euros et un préjudice moral de 2 000 euros.

Le préjudice de jouissance calculé à 8,20 euros par jour depuis la panne jusqu’à l’exécution de la décision correspond à une privation d’usage du véhicule pendant plusieurs années. Ce chef de préjudice est classiquement admis en matière de vices cachés affectant un véhicule automobile. La durée exceptionnellement longue de la procédure, près de six ans entre la panne et le jugement, explique le montant élevé de cette demande.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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