Tribunal judiciaire de Pontoise, le 20 juin 2025, n°25/00431

Le Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant en référé par ordonnance du 20 juin 2025, a déclaré irrecevable une action en expulsion formée par l’exploitant d’un hôtel à l’encontre d’une occupante de longue durée.

Une société exploitant un hôtel quatre étoiles hébergeait depuis 2019 une personne dans l’une de ses chambres moyennant le versement de 220 euros par semaine. Face à l’accumulation d’impayés s’élevant à plus de 16 000 euros, la société a fait assigner l’occupante devant le juge des référés du tribunal judiciaire aux fins d’obtenir son expulsion et la condamnation au paiement des sommes dues. La défenderesse n’a pas comparu à l’audience.

Le juge des référés devait déterminer s’il était compétent pour connaître d’une demande d’expulsion formée par un hôtelier contre un occupant de longue durée.

Le tribunal a relevé d’office son incompétence au profit du juge des contentieux de la protection. Il a estimé qu’il existait entre les parties « un contrat verbal » portant sur « l’occupation d’un logement » et que l’action tendait en tout état de cause à « l’expulsion d’une personne occupant un immeuble bâti aux fins d’habitation ». L’action a donc été déclarée irrecevable.

Cette décision illustre la requalification d’une occupation hôtelière prolongée en situation d’habitation protégée (I) et consacre la compétence exclusive du juge des contentieux de la protection en matière d’expulsion à fins d’habitation (II).

I. La requalification de l’occupation hôtelière prolongée en situation d’habitation

Le juge opère une analyse substantielle de la relation contractuelle (A) pour en déduire l’existence d’un contrat portant sur l’occupation d’un logement (B).

A. L’analyse substantielle de la relation contractuelle

Le tribunal relève qu’il existe entre les parties « un contrat verbal » par lequel l’occupante « profitait d’une chambre contre le versement d’un prix déterminé ». Cette qualification dépasse la simple prestation hôtelière ponctuelle. La durée de l’occupation, établie depuis 2019, soit près de six années, transforme la nature même de la relation juridique initialement nouée.

Le juge ne s’arrête pas à l’apparence d’un contrat d’hébergement hôtelier. Il recherche la réalité de la situation en examinant la durée de l’occupation et la régularité des versements. Cette méthode d’analyse privilégie le fond sur la forme et s’inscrit dans une jurisprudence protectrice des occupants de locaux servant effectivement à l’habitation.

La requalification opérée présente une portée considérable pour les établissements hôteliers accueillant des personnes sur de longues périodes. Elle invite à distinguer l’hébergement touristique de courte durée et l’occupation à caractère habituel.

B. La reconnaissance d’un accord portant sur l’occupation d’un logement

Le tribunal qualifie expressément la situation d’« accord portant sur l’occupation d’un logement ». Cette formulation reprend les termes de l’article L. 213-4-4 du code de l’organisation judiciaire. Elle emporte des conséquences procédurales déterminantes.

La chambre d’hôtel occupée de manière stable et durable acquiert la qualification de logement au sens des textes protecteurs. Peu importe que le local soit situé dans un établissement hôtelier. Seul compte l’usage effectif qui en est fait par l’occupant. Cette approche fonctionnelle du logement rejoint celle adoptée en matière de droit au logement opposable.

Le juge ajoute qu’« en tout état de cause, l’action porte sur une demande d’expulsion d’une personne occupant un immeuble bâti aux fins d’habitation ». Ce motif surabondant renforce la solution. Même en l’absence de contrat qualifiable, le seul fait que l’occupation serve à l’habitation suffit à fonder la compétence du juge des contentieux de la protection.

II. La compétence exclusive du juge des contentieux de la protection en matière d’expulsion

Le tribunal applique les règles de compétence matérielle issues de la réforme de 2019 (A) et en tire les conséquences procédurales pour le demandeur (B).

A. L’application des articles L. 213-4-3 et L. 213-4-4 du code de l’organisation judiciaire

Le juge des référés vise expressément les articles L. 213-4-3 et L. 213-4-4 du code de l’organisation judiciaire. Le premier texte attribue au juge des contentieux de la protection compétence pour les « actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent aux fins d’habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre ». Le second étend cette compétence aux actions relatives à un « contrat portant sur l’occupation d’un logement ».

Le tribunal précise que cette compétence est « exclusive », y compris lorsque le juge des contentieux de la protection est « saisi en référé ». Cette affirmation clarifie l’articulation entre la compétence matérielle et la voie procédurale choisie. Le caractère urgent de la procédure de référé ne permet pas de déroger aux règles de répartition des compétences entre les différentes formations du tribunal judiciaire.

Cette solution s’inscrit dans la logique de spécialisation du contentieux locatif et de l’expulsion. Le législateur a entendu confier l’ensemble de ce contentieux à un juge unique disposant d’une expertise particulière et de pouvoirs adaptés.

B. Les conséquences procédurales pour le demandeur

L’action est déclarée irrecevable et non pas renvoyée devant le juge compétent. Cette solution peut surprendre dans la mesure où le code de procédure civile organise habituellement un mécanisme de renvoi en cas d’incompétence. Le juge des référés a toutefois préféré prononcer l’irrecevabilité, laissant au demandeur le soin de saisir la juridiction appropriée.

Les demandes de condamnation au paiement des prestations d’hébergement impayées subissent le même sort. Le rejet de l’ensemble des prétentions, y compris celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, sanctionne l’erreur d’aiguillage procédural commise par le demandeur.

Cette décision impose aux exploitants d’établissements hôteliers confrontés à des occupants de longue durée de saisir le juge des contentieux de la protection. Elle rappelle que la nature véritable de l’occupation prime sur la qualification formelle donnée par les parties. Le contentieux de l’expulsion relève désormais d’un bloc de compétence unifié que les praticiens doivent maîtriser.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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