Première chambre civile de la Cour de cassation, le 9 juillet 2025, n°24-19.647

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Rendue le 9 juillet 2025 par la première chambre civile, la décision casse partiellement un arrêt de la cour d’appel de Colmar du 3 juillet 2024. Le litige naît de quatre prêts immobiliers libellés en francs suisses, souscrits entre 2005 et 2010 par une emprunteuse travaillant alors en Suisse, pour acquérir des biens locatifs en France. Après un licenciement avec mise à la préretraite en 2018, l’emprunteuse a, en 2019, sollicité la suppression comme abusives des clauses relatives au libellé en devises et aux prélèvements, subsidiairement la réparation d’un manquement à l’obligation de mise en garde.

La juridiction de première instance, puis la cour d’appel de Colmar, ont rejeté les demandes, estimant les clauses valides et l’information suffisante. Un pourvoi a été formé, articulé notamment autour du contrôle de la transparence des clauses multidevises et du défaut de mise en garde concernant les prêts des 14 octobre 2005 et 13 février 2006. La haute juridiction censure pour défaut de base légale, renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Metz, et étend la cassation, par dépendance nécessaire, aux chefs relatifs au devoir de mise en garde.

I) Le contrôle de transparence des clauses multidevises

A) L’exigence matérielle de transparence et son ancrage européen

La décision rappelle la portée du standard de transparence issu du droit de l’Union. Selon elle, « l’exigence de transparence des clauses contractuelles posée par la directive n° 93/13 ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci ». La clause doit être claire, mais surtout permettre la compréhension concrète du mécanisme financier mis en place.

S’agissant des prêts libellés en devise étrangère, la jurisprudence citée précise que le contrat doit exposer le fonctionnement du mécanisme de conversion et son articulation avec les stipulations relatives au déblocage. Ainsi, « de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ». La première chambre civile avait déjà appliqué ces principes à des prêts multidevises, en exigeant des informations « suffisantes et exactes » pour apprécier un risque de change potentiellement significatif pendant toute la durée du contrat (1re civ., 20 avril 2022, n° 20-16.316 ; 7 septembre 2022, n° 20-20.826 ; 18 septembre 2024, n° 22-21.976).

B) Les obligations d’information du prêteur et leur contenu opératoire

La décision souligne l’exigence d’un discours d’information apte à éclairer un consentement prudent et avisé. Elle énonce que « l’établissement financier qui propose un prêt libellé en devises étrangères, doit fournir à l’emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents ». La transparence se mesure donc à l’aune d’éléments concrets, contextualisés et anticipant des mouvements de change substantiels.

La dimension systémique de la lutte contre les clauses abusives est également rappelée, « conformément à l’article 7, § 1, de la directive précitée », qui impose des moyens adéquats et efficaces pour y mettre fin. Ce cadre impose aux juges du fond de vérifier positivement que le prêteur a délivré des informations adéquates, et non de s’en tenir à une seule lisibilité formelle des stipulations contractuelles.

II) La censure pour défaut de base légale et ses prolongements

A) Le grief retenu et les effets du renvoi

La cassation sanctionne une insuffisance de contrôle sur les risques concrets encourus par l’emprunteuse. La décision relève qu’« en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, au regard de sa situation de travailleur transfrontalier, de sa domiciliation et de la localisation des biens immobiliers financés, les prêts libellés en devises étrangères n’exposaient pas l’emprunteuse à un risque de change pendant toute la durée d’exécution du contrat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». L’omission de cette investigation prive le raisonnement de l’assise normative requise.

La censure adoptée est ciblée, mais décisive. Le dispositif énonce « CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que », avec renvoi devant la cour d’appel de Metz. Le juge de renvoi devra apprécier la transparence au regard des circonstances personnelles et économiques, et vérifier si le niveau d’information délivré permettait d’évaluer les conséquences financières sur toute la durée des prêts.

B) L’entraînement par dépendance et la question du devoir de mise en garde

La cassation s’étend aux demandes fondées sur le manquement à l’obligation de mise en garde pour les prêts de 2005 et 2006, par application des articles 624 et 625 du code de procédure civile. La relation de dépendance entre l’appréciation de la transparence des clauses multidevises et l’obligation de mise en garde justifie l’annulation corrélative du chef ayant rejeté ces prétentions. Le lien est logique : l’ampleur du risque de change, sa prévisibilité et sa compréhension par l’emprunteur sont au cœur des deux questions.

Sur renvoi, la juridiction devra articuler ces deux contrôles, sans redondance. Le premier concerne l’équilibre et l’intelligibilité du contrat, le second l’adaptation du conseil au profil de l’emprunteur et à la nature du risque. L’examen combiné déterminera la licéité des clauses en cause, l’existence d’un manquement et, le cas échéant, l’étendue de la réparation due.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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