Le juge des référés du Conseil d’État, par une ordonnance du 30 mai 2025, précise les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé-liberté. Une association gérant une école privée hors contrat occupe des locaux mis à sa disposition par un organisme confessionnel depuis plus de dix ans. Souhaitant transférer son activité, elle se heurte à une décision d’opposition conjointe prise par le représentant de l’État, le maire, le procureur et le rectorat. Le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, par une ordonnance du 27 mai 2025, a rejeté la demande de suspension de cette opposition. L’association soutient que l’obligation de restituer les locaux actuels au 30 mai 2025 crée une situation d’urgence justifiant une intervention immédiate. Elle invoque une atteinte grave à la liberté d’enseignement, à la liberté d’association ainsi qu’à l’intérêt supérieur des élèves et des enseignants. La question posée au Conseil d’État est de savoir si la menace d’expulsion des locaux scolaires caractérise une urgence au sens de l’article L. 521-2. La haute juridiction confirme l’ordonnance de première instance en considérant que la réalité de la privation de locaux avant l’été n’est pas suffisamment établie. L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’exigence d’une urgence caractérisée pour protéger les libertés fondamentales (I) avant d’observer la préservation du caractère exceptionnel du référé (II).
I. L’exigence d’une urgence caractérisée pour la protection des libertés fondamentales
L’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative suppose que l’urgence soit justifiée par des circonstances particulières rendant nécessaire une mesure immédiate. Le juge vérifie si l’exécution de la décision contestée porte une atteinte directe et actuelle aux intérêts que le requérant entend défendre.
A. La preuve nécessaire d’une menace imminente sur la continuité de l’enseignement
L’association prétend que le refus de transfert l’empêche d’exercer son activité car elle doit rendre ses locaux actuels à une date précise. Le juge des référés du Conseil d’État relève que la requérante n’apporte pas la démonstration d’une rupture certaine et immédiate de sa mission éducative. Il observe que l’école est accueillie dans ses murs depuis treize ans sans que des difficultés majeures de cohabitation n’aient été signalées par le passé. L’ordonnance souligne que le transfert « avant la fin de l’année scolaire 2024-2025 n’aurait été concrètement programmé, organisé, et annoncé aux parents d’élèves ». Le défaut d’anticipation organisationnelle affaiblit ici la thèse d’une urgence subie et imprévisible qui nécessiterait une protection juridictionnelle sous quarante-huit heures. Cette rigueur dans l’examen des faits permet au magistrat de distinguer les contraintes de gestion courante des véritables périls imminents pour les libertés.
B. L’insuffisance des éléments de fait produits pour justifier une mesure immédiate
Pour établir la nécessité d’agir, l’association produit des courriers de son bailleur exigeant la libération des lieux avant la fin du mois de mai. Le juge estime toutefois que ces documents ne font état des besoins de l’organisme propriétaire que « de manière très générale » sans précisions concrètes. Aucune circonstance particulière n’atteste qu’une restitution forcée serait réellement recherchée par le propriétaire avant la période des vacances scolaires estivales. Les pièces fournies ne permettent donc pas d’établir « que l’école sera effectivement privée de locaux avant l’été » au regard des pratiques habituelles des parties. Le juge refuse de se fonder sur de simples affirmations unilatérales pour suspendre des décisions administratives prises pour des motifs de sécurité publique. Cette position conduit naturellement à examiner comment la haute juridiction veille à maintenir le cadre très restrictif de l’intervention du juge de l’urgence.
II. La préservation du caractère exceptionnel de la procédure de référé-liberté
Le référé-liberté constitue une procédure dérogatoire qui impose au requérant de démontrer une situation d’extrême urgence dépassant le cadre du référé-suspension classique. Le Conseil d’État maintient une interprétation stricte de cette condition pour éviter que cette voie de droit ne devienne un recours ordinaire.
A. Une appréciation rigoureuse des contraintes liées à la gestion des locaux scolaires
Le juge des référés considère que les désagréments causés par une incertitude immobilière ne suffisent pas à caractériser l’urgence requise par les textes. Il appartient à l’organisme gestionnaire de démontrer que toutes les solutions alternatives ont été explorées pour assurer la fin des cours en cours. L’ordonnance précise qu’il apparaît manifeste que l’association n’est pas fondée à se plaindre du rejet prononcé par le tribunal administratif de Grenoble. La protection de la liberté d’enseignement ne saurait dispenser les établissements privés de respecter les procédures de contrôle relatives à la sécurité des bâtiments. Le juge refuse de valider une stratégie d’urgence créée par les propres choix de l’association ou par ses relations contractuelles avec des tiers. La stabilité des situations juridiques et le respect des pouvoirs de police administrative priment sur les intérêts purement privés ou organisationnels du demandeur.
B. La confirmation de la subsidiarité du juge des référés face aux autorités administratives
Le rejet de la requête sans instruction ni audience démontre la volonté du juge de filtrer les recours manifestement mal fondés dès l’appel. Cette procédure prévue à l’article L. 522-3 du code de justice administrative permet de rejeter les demandes lorsque la condition d’urgence fait défaut. Le magistrat refuse d’entrer dans l’analyse de la légalité des motifs d’opposition car la porte d’entrée procédurale n’est pas valablement franchie. Il rappelle que le juge des référés n’a pas vocation à se substituer à l’administration pour organiser les conditions matérielles d’ouverture des écoles. L’absence de « circonstances particulières attestant qu’une telle restitution serait réellement recherchée » scelle le sort du litige au regard de la temporalité du référé. La décision confirme ainsi que l’imminence d’une atteinte à une liberté fondamentale doit être certaine et non simplement éventuelle ou hypothétique. Le contrôle du juge demeure ainsi limité aux situations de crise où l’action administrative porte une atteinte intolérable et immédiate à l’ordre juridique.