Cour de justice de l’Union européenne, le 26 octobre 2016, n°C-195/15

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 26 octobre 2016, précise l’articulation entre les procédures d’insolvabilité et les droits réels des tiers. Une société civile immobilière de droit français possédait un immeuble situé en Allemagne lorsqu’elle fut placée en redressement judiciaire par le tribunal de grande instance de Mulhouse le 6 mai 2013. Une collectivité publique allemande sollicita alors la vente forcée du bien immobilier afin de recouvrer des taxes foncières impayées entre octobre 2012 et juin 2013. L’administration fiscale justifiait pour cette demande d’un titre de créance exécutoire d’un montant de sept mille quatre cent soixante et onze euros. Le tribunal de district de Burgwedel ordonna la vente forcée de l’immeuble le 21 mai 2013, décision confirmée en appel par le tribunal régional de Hanovre. L’administrateur judiciaire de la débitrice contesta cette mesure en invoquant l’interdiction des poursuites individuelles résultant de l’ouverture de la procédure de redressement en France. Saisie d’un recours, la Cour fédérale de justice d’Allemagne décida de surseoir à statuer le 12 mars 2015 pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation du règlement communautaire. La question préjudicielle visait à déterminer si une charge foncière de droit public grevant un immeuble constitue un droit réel au sens de la législation européenne relative à l’insolvabilité. La Cour répond que l’article 5 du règlement doit être interprété comme incluant une telle sûreté constituée en vertu d’une disposition législative de droit national. Cette solution repose sur la primauté de la loi du lieu de situation de l’immeuble pour qualifier la nature réelle du droit invoqué par le créancier. L’identification du droit réel par le prisme de la loi de situation précède l’analyse du régime protecteur de ces sûretés face à l’universalité de la procédure.

I. L’identification du droit réel par le prisme de la loi de situation

A. Le renvoi au droit national pour la qualification de la sûreté

Le règlement communautaire instaure un modèle d’universalité atténuée où la loi de l’État d’ouverture régit normalement la procédure d’insolvabilité et ses effets juridiques. L’article 5 prévoit toutefois une exception majeure pour les droits réels des tiers sur des biens situés dans un autre État membre au moment de l’ouverture. La Cour souligne que « la justification, la validité et la portée d’un tel droit réel doivent normalement se déterminer en vertu de la loi du lieu où il est situé ». Cette règle permet de déroger à la loi de l’État d’ouverture pour appliquer la loi de situation du bien lors de l’examen de la garantie. La qualification de droit réel s’examine donc prioritairement au regard du droit national de l’État où se trouve l’immeuble grevé par la charge fiscale litigieuse. Le juge national doit constater si le propriétaire de l’immeuble est tenu de tolérer l’exécution forcée du titre constatant la créance sur son propre bien. L’autonomie de la notion de droit réel au sens européen reste ainsi intimement liée aux prérogatives concrètes offertes par les législations des États membres.

B. Le respect des critères fonctionnels du droit réel européen

L’absence de définition précise du droit réel dans le règlement n’empêche pas la Cour de fixer des critères d’appréciation minimaux pour assurer l’effet utile du texte. Les droits qualifiés de réels par une législation nationale doivent remplir certaines conditions matérielles pour bénéficier de la protection dérogatoire prévue par le droit de l’Union. En l’espèce, la charge litigieuse « constitue une charge grevant directement et immédiatement un bien immobilier taxé » dont le propriétaire doit supporter l’exécution pour désintéresser le créancier. L’administration fiscale bénéficie ainsi d’une qualité de créancier privilégié lui permettant de séparer cette garantie de la masse commune des biens du débiteur insolvable. Ces éléments fonctionnels correspondent aux exemples fournis par le règlement, notamment le droit de faire réaliser le bien pour percevoir le produit de sa vente. Le droit national allemand satisfait aux exigences européennes en conférant à la taxe foncière la nature d’un droit réel immobilier opposable à la procédure collective. Cette qualification permet de soustraire la sûreté aux effets de la loi française d’ouverture pour maintenir l’efficacité des garanties locales.

II. Le régime protecteur du droit réel face à l’universalité de la procédure

A. L’indifférence de la nature publique ou commerciale de la créance

La protection accordée par le règlement ne saurait être limitée aux seules transactions commerciales sans méconnaître les objectifs de sécurité juridique poursuivis par le législateur européen. Une interprétation stricte de la dérogation ne doit pas conduire à priver de son effet utile une disposition essentielle pour la confiance des acteurs économiques. La Cour affirme que « ni le libellé des dispositions […] ni les objectifs poursuivis par celui-ci ne permettent d’interpréter l’article 5 […] en ce sens qu’il ne couvrirait pas les droits réels ». Le caractère public de la créance fiscale ou l’absence de contrat de crédit sont jugés indifférents pour l’application de la règle protectrice du droit réel. Restreindre le champ d’application de l’article 5 aux seules garanties conventionnelles créerait une discrimination injustifiée entre les titulaires de droits de même nature juridique. Cette approche garantit que l’origine de la créance n’influence pas la protection réelle attachée au bien situé hors de l’État d’ouverture de la procédure.

B. La consécration de la sécurité des transactions et de l’égalité

L’exception prévue à l’article 5 vise principalement à « protéger la confiance légitime et la sécurité des transactions dans des États différents de celui de l’ouverture » de la procédure. La reconnaissance automatique des effets d’une procédure étrangère pourrait autrement interférer gravement avec les règles locales régissant les sûretés immobilières et le crédit foncier. Le règlement repose sur un principe d’égalité de traitement des créanciers qui interdit de discriminer les autorités publiques d’un État membre par rapport aux créanciers privés. Les autorités fiscales disposent du droit de produire leurs créances et de se prévaloir de leurs sûretés réelles selon les modalités prévues par la loi de situation. La solution retenue confirme la portée de l’arrêt de principe en étendant la protection des droits réels à toute sûreté légale répondant aux critères du règlement. Cette jurisprudence stabilise le régime des charges foncières de droit public en les préservant des effets attractifs de la loi de l’État d’ouverture de l’insolvabilité. L’immunité du droit réel ainsi consacrée renforce la prévisibilité juridique pour tous les titulaires de garanties immobilières au sein de l’espace judiciaire européen.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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