Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juillet 2019, n°C-722/17

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 10 juillet 2019, un arrêt portant sur l’interprétation des règles de compétence juridictionnelle exclusive. Ce litige opposait plusieurs créanciers à propos de la répartition du produit de la vente forcée d’un immeuble situé sur le territoire de l’Autriche. Des entrepreneurs ayant réalisé des travaux de rénovation contestaient la primauté d’une hypothèque inscrite au profit d’un compagnon de la propriétaire de l’immeuble. Les demandeurs invoquaient notamment l’extinction de la dette par compensation ainsi que le caractère frauduleux de la sûreté réelle constituée par leur débitrice commune.

Le Bezirksgericht de Villach, saisi de cette action en contestation de l’état de distribution, a décidé d’interroger la juridiction européenne par voie préjudicielle. La question portait sur l’application des fors exclusifs prévus par le règlement Bruxelles I bis en matière de droits réels immobiliers ou d’exécution forcée. Les juges autrichiens cherchaient à déterminer si une telle action présentait un lien de proximité suffisant avec le lieu de situation du bien. Ils s’interrogeaient également sur la compétence du tribunal du lieu de l’exécution pour trancher des contestations relatives au fond du droit.

La Cour décide que l’action en contestation de la distribution du prix de vente d’un immeuble ne relève d’aucune règle de compétence exclusive impérative. Elle souligne que les moyens fondés sur la compensation ou sur l’action paulienne concernent des droits personnels et non des droits réels immobiliers. La solution repose sur une distinction stricte entre les mesures de contrainte matérielle et les litiges portant sur l’existence des créances en cause. L’étude de cette décision exige d’analyser l’exclusion des chefs de compétence exclusive (I) avant d’envisager la reconnaissance d’une compétence en matière contractuelle (II).

I. L’interprétation restrictive des compétences exclusives dérogatoires

A. Le défaut de lien suffisant avec le droit réel immobilier

La Cour écarte l’application de l’article 24, point 1, du règlement en précisant que l’action n’est pas fondée sur un droit réel immobilier. Elle affirme qu’ « il ne suffit pas qu’un droit réel immobilier soit concerné par l’action ou que l’action ait un lien avec un immeuble ». La demande de compensation vise uniquement à contester l’existence d’une créance personnelle qui a servi de base à la constitution d’une sûreté. L’examen d’un tel moyen ne nécessite pas de vérifications spécifiques au lieu de situation du bien justifiant une compétence territoriale impérative.

L’analyse des juges européens confirme que l’action paulienne trouve son origine dans un droit de créance personnel du créancier à l’égard de son débiteur. La Cour précise que « l’examen d’une telle argumentation n’exige pas l’appréciation de faits ni l’application des règles et des usages du lieu de situation du bien ». Cette solution protège la prévisibilité des règles de compétence en limitant les fors exclusifs aux seules actions relatives à la consistance des immeubles. Les magistrats refusent ainsi d’étendre la compétence du lieu de situation aux litiges portant sur la validité des engagements contractuels.

B. L’absence de contestation sur les mesures de contrainte matérielle

Le bénéfice de l’article 24, point 5, du règlement est refusé car l’action ne porte pas sur les modalités techniques de l’exécution forcée. Les juges rappellent que cette disposition vise les litiges « relatifs au recours à la force, à la contrainte ou à la dépossession de biens meubles et immeubles ». En l’espèce, les demandeurs ne contestent pas les actes des autorités chargées de la vente en eux-mêmes mais le bien-fondé de la répartition. Cette contestation intellectuelle sur l’ordre des créanciers s’éloigne des questions touchant à la mise en œuvre matérielle de la décision de justice.

La décision souligne que le lien exigé avec la procédure d’exécution doit être direct pour justifier une dérogation aux règles de compétence générale. La Cour observe que les parties « ne contestent pas les actes des autorités chargées de l’exécution forcée, en eux-mêmes » lors d’une action paulienne. Cette interprétation étroite empêche un créancier de détourner le for de l’exécution pour soumettre un litige de fond à une juridiction normalement incompétente. Le rejet de ces compétences exclusives conduit nécessairement à rechercher une autre base légale pour déterminer le tribunal compétent.

II. La qualification de l’action en contestation de l’état de distribution

A. La nature personnelle des moyens soulevés par les créanciers

La juridiction européenne considère que les prétentions des créanciers reposent sur des rapports d’obligations de nature strictement personnelle entre les parties en cause. La compensation invoquée par les demandeurs tend à démontrer l’extinction d’une dette de prêt sans affecter directement la nature réelle de la garantie immobilière. Ce moyen de défense constitue une exception de procédure dont l’examen relève du droit des obligations classiques plutôt que du droit des biens. La Cour privilégie ainsi une approche concrète du litige en fonction de la substance des arguments juridiques développés par les plaideurs.

L’action paulienne est également qualifiée par les juges comme un mécanisme de protection du droit de gage général dont dispose tout créancier personnel. Cette mesure vise à rendre inopposable un acte d’appauvrissement frauduleux réalisé par la débitrice au détriment de ses cocontractants initiaux. La Cour insiste sur le fait que cette action est fondée sur des droits de créance issus de relations juridiques autonomes. Elle refuse de l’assimiler à une contestation de droit réel malgré l’inscription de la sûreté litigieuse sur un registre foncier national.

B. La consécration de la compétence facultative en matière contractuelle

L’arrêt propose d’appliquer la règle de compétence spéciale prévue à l’article 7, point 1, du règlement pour fonder la compétence du juge saisi. La Cour juge que « l’action paulienne, lorsqu’elle est introduite sur le fondement de droits de créance nés d’obligations contractuelles, relève de la matière contractuelle ». Cette qualification permet aux créanciers d’attraire le défendeur devant le tribunal du lieu où l’obligation de rénovation a été ou devait être exécutée. Les juges considèrent que ce for répond parfaitement aux objectifs de proximité géographique et de bonne administration de la justice.

Cette solution permet de regrouper le contentieux de l’exécution du contrat et celui de la fraude devant les juridictions de l’État d’exécution. Les entrepreneurs peuvent ainsi agir en Autriche, lieu de réalisation des travaux, pour contester l’inopposabilité de la sûreté constituée par leur cocontractante. La Cour précise que le lieu de fourniture des services offre une prévisibilité suffisante pour les parties engagées dans un lien contractuel. Cette orientation jurisprudentielle facilite la défense des créanciers victimes d’agissements frauduleux tout en respectant l’économie générale du droit de l’Union.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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