Cour d’appel administrative de Versailles, le 5 juin 2025, n°23VE01547

La cour administrative d’appel de Versailles a rendu, le 5 juin 2025, une décision relative à la suppression d’un ouvrage public irrégulièrement implanté. Dans cette affaire, des copropriétaires contestaient la réalisation de travaux de voirie par une commune sur les parties communes de leur ensemble immobilier. Le tribunal administratif de Versailles avait rejeté leur demande de remise en état et d’indemnisation par un jugement rendu le 9 mai 2023. La question posée aux juges d’appel concerne les conditions dans lesquelles l’administration peut maintenir un ouvrage public construit sans titre sur une propriété privée. La juridiction rejette la requête en considérant que la démolition porterait une atteinte excessive à l’intérêt général au regard des bénéfices de l’aménagement. L’étude de cette solution conduit à analyser la caractérisation de l’emprise irrégulière avant d’examiner le mécanisme de conciliation entre droit de propriété et utilité publique.

I. La caractérisation souveraine d’une emprise irrégulière sur des parties communes

A. L’exigence d’une autorisation préalable de l’assemblée générale des copropriétaires

Le juge souligne que l’assemblée générale est le « seul organe ayant la capacité » pour autoriser la dépossession d’un droit de propriété. La loi du 10 juillet 1965 impose effectivement un vote formel pour toute modification substantielle des parties communes par une autorité publique. En l’espèce, la commune a réalisé des places de stationnement et posé des barrières sans avoir recueilli l’accord exprès des copropriétaires. Cette absence de consentement vicie la procédure de réalisation des travaux dès l’origine de l’aménagement urbain.

Les requérants invoquaient donc à bon droit la méconnaissance des prérogatives de la copropriété pour contester la présence de l’ouvrage sur leur terrain. L’exécution de travaux publics ne saurait s’affranchir des règles élémentaires régissant la propriété privée des immeubles bâtis en zone urbaine. Cette situation oblige le juge administratif à constater l’illégalité de l’implantation avant de se prononcer sur les conséquences de cet état de fait.

B. Le constat d’une implantation sans titre ni servitude

L’absence de titre ou de servitude conduit la cour à constater l’existence manifeste d’une « emprise irrégulière » sur les parcelles appartenant à la copropriété. Les juges relèvent que les modifications ont été effectuées sans expropriation préalable ni procédure de transfert de propriété conforme aux règles administratives. La commune a ainsi méconnu les limites matérielles de son domaine public en empiétant sur des terrains privés sans base légale. Cette qualification juridique oblige normalement le juge de plein contentieux à envisager la démolition de l’ouvrage public construit illégalement.

Le droit de propriété bénéficie d’une protection constitutionnelle forte qui rend particulièrement grave toute occupation sans droit par une personne publique. La cour administrative d’appel de Versailles confirme ici que l’utilité d’un projet ne suffit pas à régulariser automatiquement une emprise matérielle. Le constat de l’irrégularité constitue la première étape nécessaire avant l’examen des mesures de réparation ou de remise en état sollicitées.

II. La prééminence de l’intérêt général justifiant le maintien de l’ouvrage

A. La priorité donnée à la régularisation appropriée de la situation juridique

Le magistrat examine d’abord si une « régularisation appropriée » est possible avant d’ordonner la suppression définitive de l’aménagement public contesté. Il ressort de l’instruction qu’une procédure de rétrocession des parcelles est en cours avec l’appui du syndicat des copropriétaires de la résidence. Les résolutions votées en assemblée générale en mai 2024 confirment la volonté de la majorité des résidents de légaliser l’occupation. La possibilité d’un transfert de propriété ultérieur atténue ainsi la nécessité d’une remise en état immédiate des lieux d’origine.

La juridiction administrative privilégie systématiquement la mise en conformité juridique de l’ouvrage lorsque celle-ci est techniquement et juridiquement réalisable à court terme. En l’occurrence, l’existence d’échanges avec un office notarial démontre que l’administration cherche activement à corriger l’absence de titre de propriété initial. Cette démarche de régularisation constitue un obstacle majeur aux prétentions des requérants qui exigeaient la démolition immédiate des structures.

B. Le contrôle de proportionnalité entre intérêts privés et utilité publique

La cour considère que la démolition porterait une « atteinte excessive à l’intérêt général » compte tenu du coût et de l’utilité des travaux. L’aménagement a permis de sécuriser les chemins piétonniers et d’adapter l’ergonomie d’une place de stationnement pour les personnes à mobilité réduite. L’empiètement ne représente que 0,07 % de la surface totale de la résidence, ce qui constitue un inconvénient limité pour les requérants. L’assemblée générale des copropriétaires a d’ailleurs rejeté la remise en état, confirmant la faible incidence des ouvrages sur la jouissance privée.

Le juge de plein contentieux doit ainsi mettre en balance les désagréments subis par les propriétaires et les conséquences d’une démolition coûteuse. La cour administrative d’appel de Versailles refuse d’ordonner la suppression d’un ouvrage de 528 000 euros pour un préjudice privé jugé disproportionné. La protection de l’intérêt général l’emporte donc ici sur la sanction de l’irrégularité commise par la collectivité publique lors de l’exécution.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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