Cour d’appel administrative de Paris, le 23 janvier 2025, n°24PA03847

La Cour administrative d’appel de Paris a rendu le 23 janvier 2025 une décision relative à l’intérêt à agir d’un requérant ayant obtenu l’annulation d’un permis de construire. Un vice-président d’une collectivité d’outre-mer avait délivré une autorisation pour la construction d’un immeuble collectif comprenant dix-neuf logements et un bureau. Saisi par une association, le tribunal administratif de la Polynésie française a d’abord sursis à statuer pour permettre une régularisation du projet immobilier. Constatant l’absence de mesure corrective, les premiers juges ont finalement prononcé l’annulation totale de l’acte contesté le 28 mai 2024. L’association requérante a toutefois relevé appel de ce jugement car le tribunal n’avait pas examiné l’intégralité des moyens soulevés dans sa requête initiale. La juridiction d’appel devait donc déterminer si l’omission d’examen de certains moyens par le juge du fond confère au requérant victorieux un intérêt à interjeter appel. La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête comme irrecevable au motif que l’annulation prononcée donne entière satisfaction aux prétentions des demandeurs de première instance.

I. L’identification d’une irrégularité procédurale dépourvue de grief

A. La méconnaissance de l’office du juge de l’urbanisme

Le code de l’urbanisme impose au juge administratif une obligation particulière de se prononcer sur l’ensemble des moyens susceptibles de fonder une annulation. La Cour rappelle que « lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête ». Cette règle s’articule étroitement avec la faculté de surseoir à statuer afin de permettre la régularisation d’un vice affectant la légalité de l’autorisation. En l’espèce, le tribunal administratif avait identifié une méconnaissance des règles de prospect mais n’avait pas expressément écarté les autres critiques formulées par l’association. La Cour juge que les premiers juges ont ainsi méconnu leur office en ne précisant pas les motifs pour lesquels les autres moyens devaient être rejetés. Cette exigence de motivation exhaustive vise à purger le permis de construire de toutes ses illégalités potentielles avant d’envisager une éventuelle mesure de régularisation.

B. La portée restreinte de l’autorité de la chose jugée

L’irrégularité commise par le tribunal administratif n’entraîne cependant pas nécessairement un préjudice juridique pour la partie ayant obtenu l’annulation de l’acte administratif. La Cour souligne que les jugements attaqués « ne sont revêtus de la chose jugée que dans la mesure où ils fondent l’annulation prononcée » sur le motif retenu. Seul le motif constituant le soutien nécessaire du dispositif est ainsi protégé par l’autorité de la chose jugée, ce qui limite considérablement les risques de forclusion. Les moyens que les premiers juges n’ont pas expressément examinés ne peuvent donc pas être opposés ultérieurement à l’association dans un litige distinct ou futur. Cette analyse conduit la juridiction d’appel à écarter l’argumentation de la requérante relative à une possible autorité de la chose jugée qui lui ferait grief. L’annulation obtenue, bien que fondée sur un motif unique, réalise l’objectif principal du recours pour excès de pouvoir sans restreindre les droits futurs de l’appelante.

II. L’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’intérêt à agir

A. Le constat de l’obtention d’une entière satisfaction

La recevabilité d’un appel administratif est conditionnée par l’existence d’un grief causé par le dispositif de la décision rendue en première instance. La Cour constate ici que l’association requérante « a obtenu, comme elle le demandait, l’annulation du permis de construire qu’elle contestait devant le tribunal administratif ». L’annulation totale de l’acte administratif fait disparaître celui-ci de l’ordonnancement juridique, répondant ainsi intégralement aux prétentions initiales du groupement et de son co-demandeur. L’intérêt à agir s’apprécie au regard du résultat concret de l’instance plutôt que par rapport à la satisfaction intellectuelle d’une motivation exhaustive des juges. Dès lors que le permis de construire est anéanti, le requérant ne peut utilement soutenir qu’il n’a pas obtenu ce qu’il recherchait par son action contentieuse. La satisfaction totale obtenue en première instance interdit ainsi aux demandeurs de critiquer les motifs du jugement ou l’omission de certains moyens de légalité.

B. L’absence d’intérêt à la critique de la motivation

Le choix opéré par la juridiction administrative d’appel confirme une jurisprudence constante sur la distinction entre le dispositif d’un jugement et ses motifs explicatifs. Bien que l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme impose un examen exhaustif, sa méconnaissance ne crée pas un droit à l’appel pour le gagnant. La Cour affirme que la requérante est « dépourvue de tout intérêt à faire appel desdits jugements qui ne lui font ainsi pas grief » malgré l’erreur de droit. Cette solution pragmatique évite l’encombrement des juridictions d’appel par des litiges dont l’issue finale en termes d’annulation ne peut plus évoluer favorablement. Le contentieux administratif reste ainsi centré sur la protection des droits des administrés contre les actes illégaux plutôt que sur la perfection formelle des décisions. La requête est par conséquent rejetée car elle ne présente aucune utilité juridique pour une partie ayant déjà évincé le projet immobilier litigieux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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