Conseil constitutionnel, Décision n° 2025-1141 QPC du 6 juin 2025

Par la décision n° 2025-1141 QPC du 6 juin 2025, le Conseil constitutionnel examine la conformité de l’article L. 1127-3 du code général de la propriété des personnes publiques. Cette disposition organise la procédure de transfert de propriété au profit du gestionnaire du domaine pour les navires présumés abandonnés.

Le requérant occupait un bateau stationné sur le domaine public fluvial sans disposer de l’autorisation nécessaire pour cette occupation privative. L’autorité administrative a constaté l’état d’abandon du bien en raison d’un défaut d’entretien et a engagé la procédure de transfert de propriété. Le Conseil d’État a saisi les sages de la rue de Montpensier le 12 mars 2025 d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Le requérant soutient que le transfert de propriété constitue une sanction punitive méconnaissant le principe de légalité des délits et des peines. Il invoque également une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Enfin, il dénonce une violation de l’inviolabilité du domicile pour les bateaux utilisés comme résidence principale par leurs propriétaires.

Le litige soulève la question de la constitutionnalité d’une procédure de déchéance de propriété administrative justifiée par la protection du domaine public. Les juges constitutionnels déclarent les dispositions conformes à la Constitution sous une réserve d’interprétation relative à la protection de la vie privée. L’examen de cette décision commande d’analyser l’exclusion de la qualification répressive de la mesure (I), avant de considérer l’encadrement des atteintes aux libertés (II).

**I. L’exclusion de la qualification répressive et la validation de l’atteinte au droit de propriété**

**A. L’absence de caractère punitif du transfert de propriété**

Le Conseil constitutionnel écarte d’emblée l’application de l’article 8 de la Déclaration de 1789 relatif au principe de légalité des peines. Les juges considèrent que le transfert de propriété n’a pas pour finalité de punir l’occupant irrégulier du domaine public. Ils affirment que ces dispositions « ont pour seul objet d’assurer la protection de ce domaine et de garantir la sécurité de la navigation fluviale ».

Cette qualification juridique permet d’évincer les exigences strictes de proportionnalité et de nécessité propres à la matière pénale. Le juge souligne que le mécanisme repose sur une nécessité de gestion domaniale plutôt que sur une volonté de sanctionner un comportement. Il en conclut que les mesures contestées « n’instituent donc pas une sanction ayant le caractère d’une punition ».

**B. Une limitation proportionnée à l’exercice du droit de propriété**

Le grief tiré de la violation de l’article 17 de la Déclaration de 1789 est rejeté au motif de l’absence de privation de propriété. Le juge constitutionnel relève que la procédure porte uniquement sur des biens ayant fait l’objet d’un abandon manifeste par leurs propriétaires. Dès lors, il estime que « ces dispositions n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ».

L’atteinte est examinée sous l’angle de l’article 2 de la Déclaration de 1789 imposant un motif d’intérêt général et une proportionnalité. La protection de l’intégrité du domaine et la sécurité des usagers de la voie d’eau justifient légitimement cette restriction. Le Conseil valide ainsi le dispositif législatif en raison de l’objectif poursuivi par l’autorité administrative compétente.

**II. Un encadrement procédural strict garantissant l’inviolabilité du domicile**

**A. Le maintien des garanties processuelles au profit du propriétaire**

La constitutionnalité de la mesure repose sur l’existence de garanties sérieuses permettant au propriétaire de faire valoir ses droits durant la procédure. Le transfert n’intervient qu’après un constat d’abandon affiché sur le bien et notifié au dernier propriétaire connu s’il est identifié. Le propriétaire dispose d’un délai de six mois pour se manifester et réaliser les manœuvres nécessaires pour mettre fin à l’abandon.

La décision précise que le titulaire du bien « est ainsi mis à même dans ce délai de se manifester et de prendre les mesures nécessaires ». En outre, l’existence d’un recours devant le juge administratif permet de solliciter la suspension de l’exécution du transfert de propriété. Ces protections assurent un équilibre satisfaisant entre les prérogatives de la puissance publique et les droits des administrés.

**B. La réserve d’interprétation relative à la destruction des bateaux-logements**

Le Conseil constitutionnel apporte une réserve importante concernant les navires utilisés comme résidence principale afin de protéger l’inviolabilité du domicile. Il précise que la loi n’autorise pas par elle-même l’expulsion de l’occupant d’un bateau à usage d’habitation. Le juge impose au gestionnaire de prendre en compte la situation personnelle de l’occupant avant toute mesure de destruction du bien.

La décision dispose qu’elles ne sauraient être interprétées comme « autorisant le gestionnaire du domaine public fluvial à procéder à la destruction d’un tel bien sans tenir compte de la situation personnelle ou familiale ». Cette réserve garantit le respect de la vie privée même en cas d’occupation irrégulière et prolongée du domaine. Par cette précision, la haute juridiction concilie efficacement les impératifs de la domanialité publique avec les droits fondamentaux des personnes.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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