Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-897 QPC du 16 avril 2021

Le Conseil constitutionnel a rendu le 16 avril 2021 une décision relative à la conformité de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation. Cette disposition législative organise le versement d’un acompte sur l’indemnité d’éviction au profit des occupants évincés lors d’une procédure d’utilité publique.

Des sociétés commerciales occupaient des locaux situés dans le périmètre d’une opération d’aménagement urbain soumise à une déclaration d’utilité publique préalable. Le transfert de propriété des immeubles concernés s’est opéré par voie de cession amiable conclue entre le propriétaire et l’aménageur public.

La Cour de cassation, par un arrêt n° 166 du 21 janvier 2021, a transmis au juge constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité. Les requérantes soutiennent que le bénéfice de l’acompte est injustement réservé aux transferts de propriété opérés par une ordonnance judiciaire d’expropriation.

L’article contesté exclurait arbitrairement les locataires d’un bien cédé à l’amiable, créant ainsi une rupture caractérisée de l’égalité devant la loi. La question de droit porte sur la légitimité constitutionnelle d’une telle distinction procédurale entre deux modes de transfert de propriété immobilière.

Le Conseil constitutionnel déclare la disposition contraire à la Constitution car la différence de traitement instaurée ne repose sur aucune différence de situation pertinente. L’analyse portera d’abord sur la reconnaissance d’une exclusion discriminatoire avant d’examiner l’affirmation d’une égalité effective dans le droit de l’expropriation.

I. La reconnaissance d’une exclusion discriminatoire

A. L’identification d’une différence de traitement injustifiée

L’article L. 323-3 limite le versement de l’acompte aux cas où « l’ordonnance d’expropriation soit intervenue » pour les propriétaires et les locataires. Les locataires dont le bail est rompu par une cession amiable se trouvent alors privés de cette avance financière pourtant nécessaire à leur réinstallation.

Le juge relève que les conséquences sur le droit à indemnisation sont pourtant identiques que le transfert procède d’un acte amiable ou judiciaire. L’extinction des droits personnels des occupants survient dans les deux hypothèses dès lors que la déclaration d’utilité publique a été régulièrement prononcée.

B. L’absence de lien avec l’objectif de réinstallation

Le législateur a instauré ce mécanisme d’acompte afin de « faciliter sa réinstallation » pour chaque titulaire de droits réels ou personnels évincé. Or, ni l’ordonnance ni la cession amiable n’ont pour objet de fixer souverainement les conditions précises de l’indemnisation et de l’éviction définitive.

La distinction opérée par la loi ne repose donc sur aucune différence de situation objective au regard de l’indemnité due par l’expropriant. Cette rupture d’égalité ne peut être justifiée par un motif d’intérêt général puisque le besoin de liquidités financières reste constant pour l’occupant.

II. L’affirmation d’une égalité effective devant l’expropriation

A. Le renforcement des garanties du locataire évincé

La décision rappelle que le transfert de propriété « éteint tous les droits réels ou personnels » existant sur les immeubles faisant l’objet de l’expropriation. L’expropriant doit alors allouer des indemnités couvrant l’intégralité des préjudices subis par les occupants dont les titres d’occupation se trouvent légalement supprimés.

La censure constitutionnelle rétablit ainsi une forme d’équité procédurale entre les commerçants selon les modalités techniques du transfert de propriété immobilière. La protection du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre impose une indemnisation juste et équitable pour toutes les victimes d’expropriation.

B. L’aménagement temporel des effets de l’inconstitutionnalité

L’abrogation immédiate de la disposition aurait paradoxalement privé l’ensemble des expropriés de toute possibilité d’obtenir un acompte durant le temps de la réforme. Le Conseil décide donc de reporter la date de cette abrogation au 1er mars 2022 afin de permettre une intervention législative correctrice.

Les mesures prises antérieurement sur ce fondement légal ne pourront être contestées pour éviter une instabilité excessive des procédures d’expropriation déjà engagées. Cette modulation garantit la continuité des opérations d’aménagement tout en imposant au législateur de rétablir rapidement le respect scrupuleux du principe d’égalité.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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