Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 16 mai 2012, une décision relative à la constitutionnalité de la procédure de transfert de propriété en matière d’expropriation. Cette décision fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 12-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Dans cette affaire, une société requérante critiquait les modalités de l’ordonnance d’expropriation permettant de priver un propriétaire de son bien sans débat contradictoire préalable. Le litige s’inscrit dans un processus complexe où le juge judiciaire intervient pour constater le transfert de propriété après une phase administrative. Les requérants soutenaient que l’absence d’audition de l’exproprié méconnaissait les exigences du droit à une procédure juste et équitable garanties par la Constitution. Ils invoquaient également une atteinte au droit de propriété en raison du caractère non définitif de la déclaration d’utilité publique au moment du transfert. La question posée au Conseil constitutionnel était de savoir si le transfert de propriété par ordonnance unilatérale respecte les articles 16 et 17 de la Déclaration de 1789. Les sages ont déclaré la disposition conforme à la Constitution en soulignant l’existence de recours et de garanties d’indemnisation. Cette décision valide un transfert de propriété par voie d’ordonnance non contradictoire tout en préservant les droits fondamentaux par des garanties substantielles.

I. La consécration d’un transfert de propriété par voie d’ordonnance non contradictoire

A. Un contrôle juridictionnel limité à la régularité formelle du dossier

Aux termes de l’article L. 12-1 contesté, le transfert de propriété immobilière s’opère par une ordonnance rendue « sur le vu des pièces constatant que les formalités » ont été accomplies. Le juge de l’expropriation exerce ici une mission de contrôle purement formel de la régularité du dossier transmis par l’autorité expropriante. Il doit s’assurer que la déclaration d’utilité publique et l’arrêté de cessibilité figurent bien parmi les documents produits. Cette vérification permet de garantir que « l’utilité publique a été légalement constatée » avant que le juge ne prononce l’expropriation du bien. L’ordonnance judiciaire constitue l’acte final qui concrétise la dépossession forcée du propriétaire au profit de l’expropriant. Cette mission spécifique du juge judiciaire s’inscrit dans son rôle de gardien de la propriété privée face aux prérogatives de la puissance publique. Le contrôle exercé assure une sécurité juridique minimale en empêchant tout transfert de propriété qui ne s’appuierait pas sur un dossier administratif complet.

B. L’absence de débat contradictoire justifiée par la structure de la procédure

Les requérants critiquaient le fait que l’ordonnance d’expropriation soit rendue « sans que l’exproprié soit entendu ou appelé » devant le juge de l’expropriation. Le Conseil constitutionnel estime cependant que cette absence de débat contradictoire immédiat ne méconnaît pas les principes du procès équitable. Cette solution se justifie par le fait que l’ordonnance ne fait que tirer les conséquences juridiques d’actes administratifs préalables et obligatoires. Les propriétaires intéressés ont la possibilité de contester la déclaration d’utilité publique et l’arrêté de cessibilité devant la juridiction administrative compétente. Le Conseil souligne également que « l’ordonnance d’expropriation peut être attaquée par la voie du recours en cassation » par les parties intéressées. La phase de fixation des indemnités, qui suit nécessairement le transfert de propriété, se déroule quant à elle au terme d’une procédure strictement contradictoire. L’équilibre du dispositif repose ainsi sur la dualité des juridictions et sur la possibilité d’exercer des recours contre les actes préparatoires.

II. La sauvegarde des droits fondamentaux par l’existence de garanties substantielles

A. L’articulation nécessaire entre les contrôles administratif et judiciaire

La constitutionnalité du transfert de propriété repose sur l’existence d’un lien indissociable entre l’ordonnance judiciaire et les actes administratifs qui la fondent. En cas d’annulation définitive de la déclaration d’utilité publique, l’ordonnance portant transfert de propriété peut être déclarée « dépourvue de base légale » par le juge. Cette protection, prévue à l’article L. 12-5 du même code, permet à l’exproprié de faire constater la caducité de la dépossession subie. Le Conseil constitutionnel rappelle que le droit au recours juridictionnel effectif impose que l’exproprié puisse contester utilement chaque étape de la procédure. La séparation des pouvoirs implique ici que le juge judiciaire s’appuie sur la présomption de légalité des actes administratifs non encore annulés. Le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité permet d’ailleurs de vérifier que cette organisation ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits individuels. Cette architecture garantit que la privation de propriété reste subordonnée à une nécessité publique légalement constatée et effectivement contrôlée par les juges.

B. La condition impérative d’une juste et préalable indemnité

L’article 17 de la Déclaration de 1789 exige que nulle expropriation ne puisse intervenir sans « une juste et préalable indemnité » versée au propriétaire lésé. Le Conseil constitutionnel précise que la prise de possession par l’expropriant est strictement « subordonnée au versement préalable d’une indemnité » couvrant le préjudice. Cette exigence constitutionnelle interdit à l’autorité publique d’occuper les lieux tant que les sommes dues n’ont pas été effectivement payées ou consignées. L’indemnité doit être juste, ce qui signifie qu’elle doit couvrir « l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain » causé par l’expropriation. Le juge de l’expropriation joue un rôle essentiel lors de cette seconde phase en arbitrant les désaccords relatifs au montant de l’indemnisation. La procédure contradictoire devant ce juge permet alors de rétablir l’équilibre entre l’intérêt général et la protection du patrimoine privé des citoyens. Par cette décision, le Conseil constitutionnel confirme que la procédure française d’expropriation offre des garanties suffisantes pour concilier l’efficacité de l’action publique et les libertés individuelles.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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