Tribunal judiciaire de Versailles, le 19 juin 2025, n°24/01477

Le Tribunal judiciaire de Versailles, ordonnance de référé du 19 juin 2025, tranche un différend locatif commercial relatif à l’exigibilité d’arriérés et d’accessoires contractuels. Le bail, conclu en 2018 dans un centre commercial, porte sur un local de restauration exploité depuis l’ouverture autorisée des lieux par le preneur. Après sommation de payer adressée en 2024, le bailleur réclame une provision correspondant aux loyers, charges et accessoires arrêtés à mai 2025, assortie des intérêts contractuels et d’une indemnité forfaitaire.

Assigné en référé, le preneur oppose une contestation fondée sur des abandons de loyers allégués lors de la pandémie, et sollicite, subsidiairement, des délais de paiement. Le juge des référés est saisi de demandes provisionnelles au titre des loyers et d’une clause pénale de 10 %, ainsi que d’une demande de délais sur le fondement des dispositions civiles applicables. Deux thèses s’opposent, l’une plaidant l’absence de contestation sérieuse, l’autre invoquant des remises prétendument acquises et la bonne foi contractuelle.

La question de droit porte sur les conditions d’octroi d’une provision lorsque des allégations de remises ressortent de pourparlers non régularisés, sur l’exigibilité d’une clause pénale en référé, et sur l’octroi de délais judiciaires. La juridiction retient que l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorde la provision et l’indemnité forfaitaire, refuse les délais, et applique les intérêts contractuels.

I. Le référé-provision face aux remises alléguées

A. Les critères du « n’est pas sérieusement contestable »

Le juge rappelle le cadre légal des mesures de provision en référé. Il cite le texte selon lequel « Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. » L’exigibilité de la dette locative se rattache aussi à l’obligation principale du preneur, de sorte que « Aux termes de l’article 1728 du code civil, le paiement du prix du bail aux termes convenus constitue l’une des deux obligations principales du locataire. »

La charge de la preuve gouverne la discussion probatoire relative aux remises invoquées. Le dispositif légal, repris par le juge, est clair : le créancier prouve l’obligation, le débiteur prouve l’extinction. L’analyse se complète par la règle d’adéquation de l’acceptation à l’offre, rappelée ainsi : « Enfin, l’article 1118 du même code dispose notamment que l’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre et que l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. » Ces jalons textuels cadrent l’examen des courriels et projets d’avenant.

B. Le défaut d’acceptation conforme et l’insuffisance des pourparlers

Les échanges produits ne matérialisent pas un accord ferme et concordant sur des remises, faute d’avenant régularisé ou d’acceptation conforme. La juridiction constate l’existence de propositions conditionnelles, d’un « accord de principe » dépourvu d’effet novatoire, et l’absence d’un écrit signé matérialisant la modification des loyers. Il s’ensuit que les pourparlers n’ont pas franchi le seuil d’un consentement juridiquement opérant.

En conséquence, l’obligation de payer les loyers convenus apparaît non sérieusement contestable au sens du référé-provision. La solution se prolonge par l’application des stipulations d’intérêts, rappelées sans ambiguïté : « la somme due est assortie des intérêts au taux contractuellement prévu à l’article 23 du contrat de bail, soit le taux moyen mensuel du marché monétaire majoré de cinq cent points ». L’imputation des paiements est opérée selon les règles civiles, ce qui fixe un point de départ distinct pour chaque fraction exigible.

II. Sanctions contractuelles et délais de grâce

A. Mise en œuvre de la clause pénale et exigence de bonne foi

Le juge vérifie l’opposabilité de la stipulation pénale au regard du débat sur la bonne foi contractuelle. Il rappelle que « Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » et que « L’article 1104, alinéa 1er, du même code dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. » Aucune pièce probante n’établit ici une inexécution de bonne foi par le bailleur justifiant une neutralisation des pénalités.

La clause litigieuse est précise dans son déclenchement et son quantum, ce qui permet son exécution provisionnelle. Son contenu est cité ainsi : « A défaut de paiement de toutes sommes dues par le Preneur en vertu du présent bail, et notamment des loyers et accessoires à leur échéance exacte, et du seul fait de l’envoi par le bailleur d’une lettre de rappel consécutive à cette défaillance (sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire), comme en toute hypothèse en cas de notification d’un commandement ou d’une mise en demeure, le montant des sommes dues sera majoré de plein droit de 10 % à titre de d’indemnité forfaitaire et irréductible ». Le juge alloue la provision correspondante, avec intérêts au taux légal à compter de la décision, conformément au régime des dommages-intérêts.

B. Refus des délais de paiement et portée pratique de l’ordonnance

La demande de délais est appréciée au regard du texte suivant : « L’article 1343-5 du code civil permet au juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins des créanciers, de reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années. » Encore faut-il établir des difficultés sérieuses et une perspective crédible d’apurement, pièces à l’appui, ce que le preneur n’a pas fourni.

La décision refuse en conséquence l’échelonnement sollicité, faute de justification probatoire. La portée de la solution est nette pour la pratique des baux commerciaux post-crise sanitaire. Des courriels de gestion ou un « accord de principe » non régularisé ne paralysent pas le référé-provision, ni la clause pénale, en l’absence d’avenant signé ou d’exécution concordante démontrée. L’ordonnance renforce ainsi l’exigence d’écrit formalisé lorsque des remises de loyers sont discutées.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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