Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 19 juin 2025, n°23-20.291

La décision rendue par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, le 19 juin 2025, censure un arrêt de la cour d’appel de Pau du 27 juin 2023, dans un contentieux d’assurance des pertes d’exploitation liées aux mesures administratives prises durant la pandémie. L’assurée, exploitant un établissement hôtelier, avait souscrit un contrat « multirisque des professionnels de l’hôtellerie » comportant des garanties dites « en inclusion » et d’autres « en option ». À la suite d’arrêtés nationaux et préfectoraux imposant une fermeture au public des hébergements touristiques, elle a sollicité l’indemnisation de sa perte de marge brute.

La cour d’appel de Pau a rejeté ses demandes en estimant que seules les garanties mentionnées aux conditions particulières étaient effectivement souscrites, la garantie de pertes d’exploitation pour fermeture administrative n’y figurant pas. L’assurée soutenait au contraire que la police plaçait cette garantie parmi les « inclusions » automatiques, de sorte que l’absence de reprise dans les conditions particulières importait peu. La question de droit portait donc sur l’articulation des conditions générales et particulières d’une police d’assurance lorsqu’un libellé distingue des garanties « en inclusion » et des garanties « en option ». La Cour de cassation casse l’arrêt au visa du principe de non-dénaturation, rappelant que « Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis : ». Elle reproche aux juges d’appel d’avoir altéré le sens clair de la clause, en ce que « la garantie des pertes d’exploitation, en ce compris la perte de marge brute due à la fermeture de l’établissement sur décision administrative, fait partie des garanties « en inclusion » ».

I. Le contrôle de non-dénaturation appliqué à l’interprétation des clauses d’assurance

A. Le principe de non-dénaturation et son office de cassation
Le contrôle exercé par la Cour de cassation est ici classique et strict. Lorsque les clauses sont claires et précises, le juge du fond ne peut en modifier la portée. La formule adoptée s’inscrit dans cette orthodoxie, la Cour rappelant d’emblée qu’il « [incombe] au juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ». La qualification de clarté des clauses est décisive, car elle fonde la compétence de la Cour pour censurer l’interprétation opérée.

L’arrêt attaqué avait constaté la clarté des stipulations en cause, puis en avait tiré des conséquences contraires à leur teneur. La Cour relève que l’arrêt a « retenu qu’aux termes, clairs et dénués d’équivoque, des conditions générales du contrat, celles-ci définissent la nature et l’étendue des garanties que propose l’assureur, tandis que les conditions particulières indiquent les garanties choisies par l’assuré ». Une telle prémisse écarte l’interprétation pour ne laisser place qu’à la lecture fidèle et littérale de la clause.

B. L’articulation des « inclusions » et « options » au regard des conditions contractuelles
Le cœur du raisonnement tient au statut contractuel des garanties « en inclusion ». Les juges paloises avaient considéré que le souscripteur restait libre de ne pas les retenir, à défaut de mention express dans les conditions particulières. La Cour reproduit précisément cette analyse pour mieux la contredire, notant que l’arrêt a déduit que « si les conditions générales proposent des « garanties en inclusion », dont la perte d’exploitation, et des « garanties en option », le souscripteur reste libre de ne pas souscrire l’une des garanties incluses dans le contrat ».

Cette lecture est infirmée par une qualification claire de la police. Après avoir relevé que « les conditions générales proposent une garantie des pertes d’exploitation en trois volets », le texte d’appel avait limité la souscription aux volets « dommages matériels » et « dommages électriques », excluant « la garantie des pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative ». La Cour censure cette exclusion au motif qu’« en statuant ainsi […] la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat ». La hiérarchie interne de la police commande donc que les « inclusions » entrent dans le champ assuré, sans exiger reprise aux conditions particulières, sauf stipulation contraire non alléguée.

II. Valeur et portée de la solution en droit des assurances des pertes d’exploitation

A. Une clarification bienvenue de la portée des conditions générales
La solution s’accorde avec la logique des polices standardisées, où les conditions générales fixent l’ossature des garanties et les conditions particulières aménagent l’étendue, les plafonds et les paramètres individuels. Elle rappelle utilement que la catégorie « inclusion » n’est pas un répertoire d’options implicites, mais un ensemble constitutif de la couverture. La Cour le dit en termes dépourvus d’ambiguïté, retenant que la garantie de fermeture administrative « fait partie des garanties « en inclusion » et non des garanties optionnelles devant être spécifiquement souscrites par l’assuré ».

Cette position conforte la sécurité juridique des assurés et la prévisibilité des risques pour l’assureur. Elle évite que l’étiquette « inclusion » soit neutralisée par un renvoi systématique aux seules mentions des conditions particulières, ce qui reviendrait à priver de substance la structure même des conditions générales.

B. Des conséquences pratiques pour la rédaction contractuelle et le traitement des sinistres
La portée pratique de l’arrêt est nette. Les rédacteurs de polices devront s’assurer que la nomenclature « inclusion/option » soit cohérente avec l’économie des conditions particulières et l’arbre des garanties. À défaut, les juges du fond s’exposent à une censure pour dénaturation chaque fois qu’ils subordonneraient une inclusion à une reprise expresse inutile.

Pour les sinistres liés aux fermetures administratives, l’arrêt impose une lecture attentive des « volets » de pertes d’exploitation prévus aux conditions générales. Si la fermeture administrative y figure comme inclusion, l’absence de rappel aux conditions particulières ne saurait, à elle seule, justifier un refus de garantie. La cassation avec renvoi devant la cour d’appel de Bordeaux incitera sans doute les juridictions à vérifier d’abord la qualification de la clause, puis l’éventuelle existence d’exclusions expresses, avant toute appréciation de souscription spécifique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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