Cour de justice de l’Union européenne, le 3 avril 2025, n°C-213/24

Par un arrêt rendu en matière fiscale, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser les contours de la notion d’activité économique au sens de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

En l’espèce, des conjoints étaient devenus propriétaires de parcelles agricoles par une transmission à titre gratuit. Ces terrains, intégrés à leur communauté légale, firent l’objet d’un projet de vente plusieurs années plus tard. À cette fin, le couple a conclu un contrat de mandat avec un opérateur professionnel. Ce dernier était chargé d’effectuer l’ensemble des démarches de valorisation, incluant le lotissement, la modification du plan d’urbanisme pour rendre les terrains constructibles, l’équipement en réseaux, la publicité et la préparation des actes de vente. La rémunération du mandataire était fixée comme la différence entre les prix de vente stipulés et les prix de vente effectifs. Les ventes se sont échelonnées sur plusieurs années.

L’administration fiscale a considéré que ces opérations constituaient une activité économique soumise à la TVA, assujettissant chaque conjoint pour la moitié de la valeur des ventes. Contestant cette analyse, les intéressés ont soutenu que ces cessions relevaient de la simple gestion de leur patrimoine privé. Un recours fut introduit par l’un des conjoints devant le tribunal administratif de voïvodie de Wrocław, en Pologne. Cette juridiction, nourrissant des doutes sur l’interprétation de la directive TVA, a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles.

Il était ainsi demandé à la Cour si la cession d’un bien immobilier, relevant initialement du patrimoine privé, peut être qualifiée d’activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque son propriétaire a recours à un mandataire professionnel pour réaliser des opérations de valorisation et de commercialisation. En cas de réponse affirmative, il convenait de déterminer si l’assujetti devait être identifié en la personne de chaque conjoint ou en celle de la communauté conjugale.

La Cour répond que de telles opérations constituent bien une activité économique imposable, jugeant que le recours à un mandataire n’exclut pas cette qualification pour le propriétaire. Elle précise ensuite que la communauté légale formée par les conjoints peut être considérée comme un assujetti unique si les circonstances factuelles et juridiques le justifient. La décision clarifie ainsi la notion d’activité économique dans le cadre d’une vente immobilière orchestrée par un tiers (I), avant de se prononcer sur l’identification de l’assujetti lorsque le bien appartient à une communauté conjugale (II).

I. L’extension du champ de l’activité économique par l’interposition d’un mandataire

La Cour confirme sa jurisprudence établie sur les critères de l’activité économique en matière immobilière (A), tout en précisant que le recours à un mandataire professionnel pour accomplir les diligences nécessaires est indifférent à la qualification de l’opération pour le propriétaire (B).

A. La confirmation du critère des démarches actives de commercialisation

La Cour rappelle que la directive TVA assigne un champ d’application très large à l’assujettissement, fondé sur l’exercice indépendant d’une activité économique. S’agissant de la vente d’un terrain, la jurisprudence constante distingue la simple gestion d’un patrimoine privé de l’activité économique imposable. Le critère déterminant réside dans le déploiement par le vendeur de « démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services ». De telles initiatives excèdent le simple exercice du droit de propriété.

En l’occurrence, la Cour relève que de nombreuses actions ont été menées pour valoriser le bien avant sa cession. Elle énumère le lotissement, la modification de la destination des parcelles en terrains à bâtir, l’équipement en réseaux d’utilité publique ou encore la promotion active auprès d’acquéreurs potentiels. Ces opérations, qui visent à tirer des recettes ayant un caractère de permanence, caractérisent une activité économique. La Cour réaffirme ainsi que l’origine du bien, même acquis à titre personnel et non pour une activité commerciale, n’empêche pas sa mobilisation ultérieure dans le cadre d’une telle activité.

B. L’indifférence du recours à un mandataire dans l’appréciation de l’activité

La principale interrogation de la juridiction de renvoi portait sur les conséquences du recours à un mandataire. Le propriétaire, en déléguant les démarches actives, pouvait-il échapper à la qualification d’opérateur économique ? La Cour répond par la négative en se fondant sur l’analyse du contrat de mandat. Elle constate que le mandataire agit « au nom et pour le compte de ses mandants, qui demeurent les propriétaires vendeurs du terrain concerné dans tous les actes de vente ».

L’argument relatif au transfert du risque économique est également écarté. Si le mode de rémunération du mandataire, indexé sur la plus-value réalisée, lui fait supporter le risque lié à la commercialisation, le risque ultime pèse sur les propriétaires. La Cour souligne en effet que « le risque économique final, qui se matérialiserait par l’absence de vente […] pèse sur les seuls mandants ». Par conséquent, le fait de confier la préparation de la vente à un professionnel ne modifie pas la nature de l’opération pour le propriétaire, qui reste l’initiateur et le bénéficiaire de l’activité économique ainsi exercée par procuration.

II. La consécration de la communauté conjugale comme assujetti potentiel à la TVA

Après avoir qualifié l’opération d’activité économique, la Cour se penche sur l’identité de l’assujetti. Elle rappelle l’autonomie de cette notion en droit de l’Union (A), mais admet une articulation pragmatique avec le droit national pour identifier l’opérateur économique effectif (B).

A. Le rappel de l’autonomie de la notion d’assujetti

La Cour réaffirme que la notion d’assujetti est une notion autonome du droit de l’Union, définie largement par la directive TVA comme « quiconque » exerce une activité économique de façon indépendante. Cette définition large inclut tant les personnes physiques que morales, et même les entités sans personnalité juridique. L’objectif est d’assurer une application uniforme de la TVA dans tous les États membres. Ainsi, la qualité d’assujetti doit être appréciée exclusivement sur la base des critères énoncés par la directive.

En principe, les dispositions du droit civil national, telles que celles régissant les régimes matrimoniaux, ne sont pas déterminantes pour définir qui est l’assujetti. La Cour rappelle qu’un bien appartenant à une communauté peut faire l’objet d’une activité économique exercée par un seul conjoint, ou par chacun d’eux de façon indépendante. Le seul droit de propriété commun ne suffit pas à présumer l’existence d’un assujetti unique.

B. L’articulation pragmatique avec le droit national pour l’identification de l’opérateur

Malgré l’autonomie de la notion, la Cour admet que « la prise en compte des dispositions de droit national peut être utile » pour vérifier si les critères de l’exercice indépendant d’une activité sont remplis. Il s’agit alors non pas de définir l’assujetti par le droit national, mais de s’appuyer sur celui-ci pour analyser les faits. Pour déterminer si les conjoints ont agi séparément ou conjointement, la Cour invite la juridiction de renvoi à examiner plusieurs indices factuels et juridiques.

Elle relève que, selon le droit national applicable, la vente d’un bien commun nécessitait le consentement des deux époux. Les conjoints ont conclu ensemble le contrat de mandat et ont agi de concert auprès des autorités. Ils sont donc apparus « à l’égard des tiers […] comme agissant chacun de façon indépendante ». Cet agissement conjoint, combiné au fait que la communauté supportait le risque économique final, peut conduire à considérer cette dernière comme un assujetti unique. La Cour ouvre donc la voie à la reconnaissance d’une communauté conjugale, bien que dépourvue de personnalité juridique propre, comme un seul et même assujetti à la TVA.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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