Cour de justice de l’Union européenne, le 26 mars 2019, n°C-70/17

Par un arrêt rendu en grande chambre le 26 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’office du juge national confronté à une clause abusive stipulée dans un contrat de prêt hypothécaire. En l’espèce, des contrats de prêt conclus entre des établissements bancaires et des consommateurs prévoyaient une clause de déchéance du terme permettant à la banque de déclarer l’intégralité de la dette immédiatement exigible en cas de manquement à une seule échéance de remboursement. Dans la première affaire, un consommateur avait obtenu en première instance et en appel l’annulation de cette clause, et la banque s’était pourvue en cassation. Dans la seconde affaire, une banque avait engagé une procédure d’exécution hypothécaire sur le fondement d’une clause similaire, après que les emprunteurs eurent manqué au paiement de trente-six mensualités. Les juridictions espagnoles, le Tribunal Supremo et le Juzgado de Primera Instancia n°1 de Barcelone, ont alors saisi la Cour de justice de questions préjudicielles. Elles s’interrogeaient sur la compatibilité avec la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 d’une part, de la possibilité de ne réputer non écrite que la partie d’une clause qui la rend abusive, et d’autre part, de la faculté pour le juge de substituer à la clause annulée une disposition supplétive de droit interne, au motif que la procédure d’exécution qui en découlerait serait plus favorable au consommateur. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si, face à une clause d’échéance anticipée jugée abusive, le juge national peut la maintenir partiellement en la modifiant, ou, à défaut, la remplacer par une norme de droit interne pour préserver les intérêts du consommateur. La Cour de justice répond par la négative à la première interrogation, considérant qu’une telle pratique reviendrait à une révision non autorisée de la clause. Elle admet en revanche la seconde possibilité, mais la subordonne à une double condition cumulative : le contrat ne doit pas pouvoir subsister après la suppression de la clause abusive et son annulation totale exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables. La Cour réaffirme ainsi avec force le principe de l’éradication des clauses abusives (I), tout en ménageant une exception strictement encadrée au nom de la protection du consommateur (II).

I. Le renforcement de la sanction des clauses abusives par le refus de leur révision

La Cour de justice confirme sa jurisprudence antérieure en interdisant au juge national de moduler la sanction d’une clause abusive, rappelant la primauté de l’effet dissuasif de la non-application (A), ce qui consacre la suppression pure et simple de la clause comme remède de principe (B).

A. L’interdiction de la modération judiciaire de la clause

La Cour s’oppose fermement à la pratique consistant à expurger une clause des seuls éléments qui fondent son caractère abusif pour en conserver une version amendée. Elle juge qu’une telle « simple suppression du motif d’échéance rendant les clauses en cause au principal abusives reviendrait, en définitive, à réviser le contenu de ces clauses en affectant leur substance ». Une telle approche porterait atteinte à l’effet dissuasif recherché par la directive. En effet, si les professionnels savaient que les clauses illicites qu’ils insèrent dans leurs contrats pouvaient être simplement réduites par le juge plutôt qu’annulées, ils ne seraient guère incités à cesser leurs pratiques. La Cour rappelle que « cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives ». Le maintien partiel de la clause litigieuse, même expurgée de sa stipulation la plus critiquable, est donc proscrit car il amoindrirait la sanction et, par conséquent, la protection du consommateur. La seule sanction effective est celle qui prive la clause de tout effet contraignant, sans que le juge puisse en sauver une partie.

B. La survie du contrat comme conséquence de la suppression de la clause

En application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, le principe est que le contrat doit se poursuivre sans la clause jugée abusive, pour autant qu’il puisse subsister sans elle. La Cour souligne que si les juridictions nationales « devaient parvenir à la conclusion que les contrats de prêt hypothécaire concernés peuvent subsister sans les clauses abusives en cause au principal, il leur appartiendrait, […] d’écarter l’application de ces clauses ». Cette solution garantit que le professionnel ne tire aucun bénéfice de la stipulation illicite, tout en préservant la relation contractuelle dans ce qu’elle a de conforme au droit. Le contrat est donc maintenu, mais amputé de la clause qui créait le déséquilibre au détriment du consommateur. Cette approche confirme que l’objectif n’est pas d’anéantir les contrats, mais de rétablir un équilibre réel entre les parties. La survie du contrat constitue donc la règle dès lors qu’elle est juridiquement possible, la suppression de la clause abusive étant le seul ajustement opéré par le juge.

II. L’aménagement exceptionnel de la sanction par la substitution de la clause

La Cour admet néanmoins qu’à titre dérogatoire, le juge puisse remplacer la clause annulée par une disposition de droit national, mais cette faculté est doublement conditionnée (A) et sa mise en œuvre relève d’une appréciation souveraine du juge national (B).

A. Une substitution subordonnée à l’intérêt supérieur du consommateur

La Cour encadre strictement la possibilité pour le juge de substituer une disposition supplétive de droit national à la clause abusive. Cette substitution n’est envisageable que si deux conditions cumulatives sont remplies. Premièrement, le contrat ne doit pas pouvoir subsister juridiquement après la suppression de la clause. Deuxièmement, l’annulation complète du contrat doit exposer le consommateur à des « conséquences particulièrement préjudiciables ». La Cour précise que l’exigibilité immédiate du capital restant dû, conséquence classique de l’annulation d’un contrat de prêt, pourrait constituer une telle situation préjudiciable, pénalisant en fin de compte le consommateur plus que le professionnel. Dans ce cas, la substitution vise à éviter que la protection accordée au consommateur ne se retourne contre lui. Elle n’est donc pas une faveur accordée au professionnel, mais un ultime recours pour garantir l’efficacité de la protection du consommateur, conformément à la finalité de la directive.

B. Une mise en œuvre laissée à l’appréciation du juge national

Il appartient au juge national de vérifier concrètement si les conditions de la substitution sont réunies. La Cour de justice lui confie le soin de déterminer, d’une part, si le contrat peut objectivement subsister sans la clause d’échéance anticipée, conformément aux règles du droit interne. D’autre part, le juge national doit comparer les conséquences de l’annulation du contrat avec celles de son maintien par la substitution. En l’espèce, cette appréciation impliquait de comparer la procédure d’exécution de droit commun qui suivrait l’annulation et la procédure spécifique de saisie hypothécaire qui pourrait être maintenue. La Cour relève que « les caractéristiques desdites procédures d’exécution relevant toutefois exclusivement du droit national, il appartient aux seules juridictions de renvoi de procéder aux vérifications et comparaisons nécessaires à cet égard ». Par cette démarche, la Cour respecte l’autonomie procédurale des États membres tout en guidant l’analyse du juge national, qui doit motiver sa décision au regard des conséquences concrètes pour le consommateur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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