Cour de justice de l’Union européenne, le 2 juillet 2020, n°C-215/19

La Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction finlandaise, a précisé le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services d’hébergement en centre de données. Cette décision clarifie la distinction entre la location de biens immeubles, les prestations de services s’y rattachant, et les prestations de services complexes relevant du régime général.

En l’espèce, une société finlandaise proposait à des opérateurs établis dans plusieurs États membres des services d’hébergement de serveurs. Ces services comprenaient la mise à disposition de baies de brassage verrouillables, l’alimentation électrique et des prestations assurant des conditions de fonctionnement optimales, telles que la régulation de la température et de l’humidité. Les clients installaient leurs propres serveurs dans ces baies, qui étaient fixées au sol mais pouvaient être déplacées sans endommager l’immeuble.

Suite à une demande de décision préalable, l’administration fiscale finlandaise a considéré que ces services constituaient des prestations se rattachant à un bien immeuble, taxables en Finlande. Saisi par la société, le tribunal administratif d’Helsinki a annulé cette décision le 27 octobre 2017, jugeant que les prestations relevaient du régime général de taxation au lieu d’établissement du client, la fourniture d’un environnement optimal pour les serveurs étant l’élément principal. L’administration fiscale a alors formé un pourvoi devant la Cour administrative suprême de Finlande. Cette dernière a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la qualification de ces services au regard du droit de l’Union.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si un service composite d’hébergement en centre de données devait être qualifié de location de bien immeuble, exonérée de taxe en vertu de l’article 135, paragraphe 1, sous l), de la directive TVA, ou, à défaut, de prestation de services se rattachant à un bien immeuble au sens de l’article 47 de cette même directive, dont le lieu de taxation est celui de la situation de l’immeuble.

La Cour de justice répond par la négative à ces deux questions. Elle juge que de tels services ne constituent ni une location de bien immeuble exonérée, ni une prestation de services se rattachant à un bien immeuble. Pour la Cour, la prestation n’est pas une mise à disposition passive d’un espace et les clients ne jouissent pas d’un droit d’usage exclusif sur une partie de l’immeuble.

La solution retenue par la Cour repose sur une analyse rigoureuse des critères de qualification des opérations immobilières en matière de TVA, écartant une conception extensive de ces notions (I), pour la rattacher au régime général des prestations de services entre assujettis (II).

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**I. L’exclusion de la qualification d’opération immobilière**

La Cour examine successivement les deux qualifications immobilières envisagées par la juridiction de renvoi, celle de location de bien immeuble (A) et celle de prestation s’y rattachant (B), pour les écarter l’une après l’autre en se fondant sur une interprétation stricte des notions et une appréciation factuelle précise.

**A. Le rejet de la qualification de location de bien immeuble**

La Cour rappelle d’abord que les exonérations sont d’interprétation stricte. La notion de « location de biens immeubles » suppose, selon une jurisprudence constante, que le propriétaire confère au locataire, pour une durée et contre rémunération, le droit « d’occuper cet immeuble comme s’il en était le propriétaire et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit ». Or, la Cour estime que cette condition essentielle n’est pas remplie en l’espèce. Le prestataire ne se borne pas à une mise à disposition passive d’un espace, mais fournit un ensemble de services actifs et complexes, incluant la surveillance, la réfrigération et l’alimentation électrique, qui sont déterminants pour le client. Cette activité s’apparente davantage à une prestation commerciale qu’à une simple gestion patrimoniale.

En outre, la Cour analyse la nature même des baies de brassage mises à disposition. Elle constate que ces équipements ne peuvent être qualifiés de biens immeubles. Ils ne sont ni des éléments faisant « partie intégrante d’un immeuble ou d’une construction sans lequel l’immeuble ou la construction est incomplet », ni des éléments installés « à demeure dans un immeuble ou une construction qui ne peut être déplacé sans destruction ou modification de l’immeuble ou de la construction ». Les baies étant simplement vissées au sol et déplaçables, elles conservent leur nature de biens meubles. Par conséquent, leur mise à disposition ne peut relever de l’exonération prévue pour la location de biens immeubles, le support matériel de la prestation principale n’étant pas lui-même de nature immobilière.

**B. L’absence de rattachement suffisant à un bien immeuble**

Ayant écarté l’exonération, la Cour se penche sur la seconde question relative au lieu de la prestation. L’article 47 de la directive TVA établit une règle de compétence spéciale pour les services se rattachant à un bien immeuble, en les taxant au lieu de situation de ce dernier. Pour que cette règle s’applique, la jurisprudence exige un « lien suffisamment direct » avec un immeuble spécifiquement déterminé, lequel doit être un « élément central et indispensable » de la prestation. La Cour constate que cette condition n’est pas non plus satisfaite.

Elle s’appuie sur le règlement d’exécution qui précise que la mise à disposition d’un espace pour l’entreposage de biens ne constitue un service se rattachant à un bien immeuble que si « aucune partie spécifique du bien immeuble n’est affectée à l’usage exclusif du preneur ». En l’espèce, les clients ne disposent pas d’un tel droit d’usage exclusif. Leur accès aux baies de brassage est contrôlé et médiatisé par un tiers, et ils ne peuvent restreindre l’accès à la partie de l’immeuble où se trouvent les équipements. L’immeuble n’est qu’un simple support pour la fourniture d’une prestation technique complexe, et non son objet central. La prestation ne vise pas à modifier juridiquement ou physiquement l’immeuble, mais à garantir le bon fonctionnement des serveurs des clients.

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**II. La consécration d’une prestation de services complexe**

En écartant la qualification de service lié à un immeuble, la Cour confirme que la prestation en cause doit être analysée comme un service unique et complexe relevant du régime général de taxation (A), ce qui emporte des conséquences significatives pour la localisation de la taxe (B).

**A. La prépondérance de la prestation d’hébergement technique**

La décision de la Cour repose sur la prémisse, acceptée de la juridiction de renvoi, que l’opération constitue une prestation unique. Dans ce cadre, la Cour met en lumière la véritable nature de la prestation. Pour le client, l’objectif n’est pas de disposer d’un espace en tant que tel, mais de bénéficier d’un environnement technologique sécurisé et régulé permettant le fonctionnement ininterrompu de ses serveurs. La fourniture d’électricité, la climatisation, la surveillance de l’humidité et la sécurité sont des éléments non pas accessoires, mais essentiels, qui caractérisent le service.

Cette approche s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour qui distingue les prestations passives des prestations actives à plus forte valeur ajoutée. La Cour juge que la location d’un bien immeuble « constitue normalement une activité relativement passive, ne générant pas une valeur ajoutée significative ». À l’inverse, l’hébergement en centre de données est une activité d’affaires de nature industrielle et commerciale, où la composante « service » l’emporte nettement sur la simple mise à disposition d’un bien. La complexité et la technicité des services fournis justifient de ne pas laisser la qualification être absorbée par la simple dimension spatiale de l’opération, même si celle-ci est nécessaire.

**B. L’application du lieu de taxation du preneur**

La conséquence directe du raisonnement de la Cour est que, la règle spéciale de l’article 47 de la directive TVA étant écartée, il convient de revenir à la règle générale de l’article 44 de cette directive. Selon cette disposition, le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où cet assujetti a établi le siège de son activité économique. Ainsi, lorsque le prestataire finlandais fournit ses services à un client établi dans un autre État membre, la TVA ne sera pas due en Finlande mais dans l’État membre du client, par le mécanisme de l’autoliquidation.

Cette solution assure le respect du principe de taxation au lieu de consommation, car les services informatiques sont consommés là où le client exerce son activité. Elle garantit également la neutralité et la cohérence du système commun de TVA, en évitant des distorsions de concurrence entre prestataires de services numériques selon qu’ils possèdent ou non leurs propres infrastructures immobilières. La décision offre ainsi une sécurité juridique bienvenue pour un secteur économique en pleine expansion, en alignant le traitement fiscal des services de centres de données sur celui de la plupart des autres services fournis par voie électronique entre entreprises.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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