Cour de justice de l’Union européenne, le 17 décembre 2020, n°C-216/19

Par une décision en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’éligibilité aux paiements directs au titre de la politique agricole commune, en interprétant deux dispositions du règlement (UE) n° 1307/2013.

Les faits à l’origine du litige peuvent être reconstitués comme suit. Un agriculteur avait sollicité des aides pour plusieurs parcelles. Pour une partie de ces surfaces, une double demande d’aide avait été déposée : l’une par le propriétaire des terres et l’autre par cet agriculteur qui les exploitait de fait, mais sans titre juridique. Pour d’autres parcelles, de nature boisée, l’agriculteur avait demandé l’activation de droits au paiement en se fondant sur une éligibilité prétendue de ces surfaces en 2008 au titre des régimes de soutien alors en vigueur.

L’organisme payeur national, confronté à ces demandes, a soulevé des doutes quant à leur bien-fondé. Saisie du litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. La première question visait à déterminer qui, du propriétaire ou de l’exploitant de fait sans titre, pouvait être considéré comme ayant les surfaces « à sa disposition » au sens de l’article 24, paragraphe 2, du règlement. La seconde question portait sur l’interprétation des conditions historiques d’éligibilité d’une surface pour l’activation de droits au paiement, en particulier la signification de l’expression « toute surface qui a donné droit à des paiements en 2008 » figurant à l’article 32, paragraphe 2, sous b), ii), du même règlement.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à définir, d’une part, le critère de la « mise à disposition » d’une surface agricole en cas de conflit entre un propriétaire et un occupant sans titre et, d’autre part, à clarifier l’étendue des exigences procédurales passées pour qu’une surface soit aujourd’hui jugée éligible à l’activation de certains droits.

Dans sa décision, la Cour de justice de l’Union européenne répond que lorsque des demandes concurrentes sont formées par le propriétaire et un occupant sans titre, les hectares admissibles sont « “à la disposition” du seul propriétaire ». Concernant la seconde question, elle juge qu’une surface boisée ne peut être considérée comme ayant « donné droit à des paiements en 2008 » que si elle a fait l’objet à cette date d’une demande d’aide formelle, suivie des contrôles administratifs et, le cas échéant, sur place, et que toutes les autres conditions de fond étaient alors satisfaites.

La Cour opère ainsi une lecture rigoureuse des conditions d’octroi des aides, privilégiant la détention d’un titre juridique formel (I) et consacrant une approche stricte de l’éligibilité historique des surfaces (II).

I. La clarification de la notion de « mise à disposition » des surfaces agricoles

La Cour de justice de l’Union européenne établit un critère clair pour l’attribution des aides en cas de demandes concurrentes, en excluant l’exploitant de fait au profit du propriétaire (A), affirmant ainsi la primauté de la sécurité juridique dans la gestion des paiements directs (B).

A. L’exclusion de l’exploitant de fait au profit du propriétaire

En affirmant que les surfaces agricoles sont « à la disposition » du seul propriétaire lorsqu’un tiers les utilise sans fondement juridique, la Cour lie directement cette notion à l’existence d’un droit légalement établi. La simple exploitation matérielle ou la possession de fait d’une parcelle se révèle insuffisante pour ouvrir droit aux aides de la politique agricole commune. Cette interprétation écarte toute appréciation subjective de la situation factuelle au profit d’une analyse objective fondée sur le titre de propriété. Le raisonnement de la Cour implique que la capacité à décider de l’affectation agricole d’une surface, qui est au cœur du concept de « mise à disposition », découle du droit de propriété et non de la simple maîtrise physique du terrain. Par conséquent, en l’absence de tout contrat de bail ou autre convention conférant un droit d’usage à l’exploitant, seul le propriétaire est réputé contrôler la destinée agricole de ses terres et peut légitimement prétendre aux aides correspondantes.

B. La primauté de la sécurité juridique dans l’octroi des aides

Cette solution a le mérite de la clarté et de la prévisibilité pour les autorités nationales chargées du paiement. En se fondant sur le titre de propriété, la Cour de justice de l’Union européenne fournit un critère simple et vérifiable, qui évite aux administrations de devoir trancher des litiges complexes sur la réalité et la légitimité d’une exploitation de fait. La décision renforce la position du propriétaire foncier et garantit que les aides agricoles, qui sont un instrument de politique publique, bénéficient à celui qui détient le pouvoir de disposition juridique sur la terre. Cette approche prévient les situations où des aides pourraient être versées à des occupants précaires ou sans droit, au détriment des titulaires légitimes. La portée de cette interprétation est donc considérable : elle sécurise le processus d’attribution des aides et aligne la logique administrative sur celle du droit civil, consolidant ainsi la cohérence du système juridique.

II. La consécration d’une lecture stricte des conditions d’éligibilité historiques

Dans la seconde partie de sa décision, la Cour adopte une approche tout aussi rigoureuse concernant l’éligibilité des surfaces boisées, en exigeant la preuve d’une démarche administrative formelle en 2008 (A), ce qui a pour effet de limiter la mobilisation de droits anciens (B).

A. L’exigence d’une démarche administrative formelle en 2008

La Cour interprète l’expression « toute surface qui a donné droit à des paiements en 2008 » de manière factuelle et procédurale. Elle ne se contente pas d’une éligibilité théorique de la surface à cette date, mais exige qu’un processus administratif complet ait été mené à son terme. Selon la Cour, il est nécessaire que la surface concernée « doit avoir fait l’objet, en 2008, d’une demande d’aide », laquelle doit avoir été suivie « d’un contrôle administratif d’admissibilité » et, si nécessaire, « d’un contrôle sur place ». Cette lecture garantit que seuls les agriculteurs qui avaient activement intégré ces surfaces dans le régime de soutien en 2008 peuvent aujourd’hui se prévaloir de cette antériorité. Le simple fait qu’une parcelle remplissait les conditions matérielles d’éligibilité, sans qu’aucune démarche n’ait été entreprise par l’exploitant, ne suffit pas à créer un droit pour l’avenir. La Cour fait ainsi de l’acte de candidature et de la validation administrative qui s’ensuit le véritable fait générateur du droit.

B. La portée de l’interprétation pour la mobilisation des droits anciens

Cette interprétation restrictive a une portée significative pour les agriculteurs. Elle empêche la réactivation de droits sur des terres qui, bien qu’éligibles par nature en 2008, n’étaient pas exploitées dans le cadre de la politique agricole commune à cette époque. La décision vise à assurer une continuité dans l’engagement des agriculteurs et à prévenir des effets d’aubaine, où des surfaces restées en marge des régimes de soutien seraient soudainement mobilisées pour capter des aides. En liant l’éligibilité actuelle à une participation effective et documentée passée, la Cour renforce la logique de la conditionnalité des aides et la traçabilité administrative. Cette solution, bien que sévère pour certains exploitants qui n’auraient pas formalisé leur situation en 2008, est cohérente avec l’objectif de la politique agricole commune de soutenir une activité agricole continue et déclarée, plutôt que de subventionner la simple détention de surfaces potentiellement productives.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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