Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 2011/7/UE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. En l’espèce, un contrat de location à usage professionnel avait été conclu entre deux entreprises. Le locataire n’ayant pas réglé plusieurs factures relatives au loyer, aux charges liées aux services d’utilité publique et à une participation forfaitaire aux coûts de l’immeuble, le bailleur l’a assigné en paiement. L’action visait, outre le règlement des sommes impayées, l’obtention d’une indemnité forfaitaire de quarante euros pour chaque facture échue, en application des dispositions de la directive. Saisie du litige, la juridiction polonaise a émis des doutes quant au champ d’application de ce texte. Elle a observé que la directive s’appliquait aux paiements effectués en « rémunération de transactions commerciales », ce qui pouvait suggérer une application limitée à la seule contrepartie de la prestation principale du contrat, en l’occurrence le loyer. Le tribunal a donc sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la portée de la notion de « montant dû », définie à l’article 2, point 8, de la directive. Il s’agissait de déterminer si ce concept englobait, au-delà du prix de la prestation caractéristique, les sommes que le débiteur s’était contractuellement engagé à rembourser au créancier au titre des frais exposés pour l’exécution du contrat. La Cour a jugé que la notion de « montant dû » couvre non seulement le montant acquitté en contrepartie de la prestation principale, mais également les sommes que le débiteur s’est obligé à rembourser au créancier pour les coûts que ce dernier a supportés.
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation extensive de la notion de « montant dû », justifiée par l’objectif de protection des créanciers (I). Cette décision a pour effet de consolider l’efficacité du dispositif de lutte contre les retards de paiement, en l’appliquant à l’ensemble des obligations financières nées du contrat (II).
I. Une interprétation extensive de la notion de « montant dû »
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse littérale et téléologique des dispositions de la directive 2011/7. Elle retient une définition large du « montant dû » (A), qui est confirmée par la finalité du texte visant à protéger la trésorerie des entreprises (B).
A. L’acception large du fondement de l’indemnisation
La juridiction européenne écarte une lecture restrictive qui limiterait le droit à l’indemnisation forfaitaire au seul retard de paiement de la prestation principale. Elle s’appuie sur la formulation de l’article 2, point 8, de la directive, qui définit le « montant dû » comme « le montant principal, qui aurait dû être payé dans le délai de paiement contractuel ou légal, y compris les taxes, droits, redevances ou charges applicables ». L’emploi du terme « y compris » indique que la liste des éléments énumérés n’est pas exhaustive. Le législateur a ainsi manifesté sa volonté de ne pas circonscrire la notion au seul prix de la prestation caractéristique de la relation contractuelle.
De plus, l’inclusion expresse des « taxes, droits, redevances ou charges » démontre que des sommes distinctes du prix principal, mais liées à l’exécution du contrat, entrent dans le champ de la définition. Ces éléments correspondent souvent à des coûts que le créancier avance pour le compte de son cocontractant. Il ressort de cette analyse textuelle que le « montant dû » ne se limite pas à la contrepartie de la prestation principale, mais s’étend à toutes les sommes dont le paiement est contractuellement stipulé. Cette approche littérale est ensuite renforcée par l’examen des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union.
B. La confirmation par l’objectif de protection du créancier
L’interprétation de la Cour est confortée par la finalité de la directive 2011/7, qui est de lutter contre les retards de paiement dans les transactions commerciales afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Comme le rappelle la décision, les retards de paiement affectent négativement les liquidités des entreprises, compliquent leur gestion financière et nuisent à leur compétitivité. Le dispositif vise donc non seulement à décourager de tels retards, mais aussi à garantir au créancier une indemnisation pour les frais de recouvrement exposés.
Adopter une interprétation restrictive de la notion de « montant dû » irait à l’encontre de cet objectif. Cela reviendrait à priver le créancier de toute protection contre les retards de paiement portant sur les sommes accessoires, alors même que ces retards ont des conséquences préjudiciables similaires sur sa trésorerie. Une telle lecture créerait une distinction artificielle entre les différentes obligations de paiement issues d’un même contrat. Elle affaiblirait l’effet dissuasif de la directive, en permettant au débiteur de différer le règlement de certaines factures sans encourir les sanctions prévues. La Cour en conclut logiquement que la protection du créancier doit s’appliquer à l’ensemble des montants que le débiteur s’est engagé à payer.
II. La consolidation de l’efficacité du dispositif contre les retards de paiement
En consacrant une approche unifiée des obligations de paiement, la Cour de justice renforce la portée pratique de la directive (A). Cette solution assure une plus grande sécurité juridique aux créanciers dans l’ensemble des relations commerciales et pas seulement dans le cadre des baux (B).
A. La primauté de l’engagement contractuel sur la nature de la créance
La décision affirme implicitement la prééminence de l’accord des parties dans la détermination des sommes couvertes par le dispositif. Peu importe la nature de la dette, qu’il s’agisse de la rémunération d’un service ou du remboursement de frais. Dès lors que le débiteur s’est contractuellement engagé à payer une somme en lien avec la transaction commerciale, cette somme constitue un « montant dû » au sens de la directive. Le retard dans son paiement ouvre donc droit, pour le créancier, aux intérêts moratoires et à l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
Cette solution prévient les manœuvres dilatoires qui consisteraient à contester la nature de certaines factures pour échapper aux pénalités. Elle garantit que l’ensemble de la relation économique entre les entreprises est pris en compte. L’équilibre du contrat est ainsi respecté, car le créancier ne doit pas supporter les conséquences d’un retard de paiement pour des coûts qu’il n’a fait qu’avancer. La décision assure une application cohérente du droit de l’Union, en alignant le régime des sanctions sur la réalité économique des transactions.
B. La portée pratique de la solution au-delà des baux commerciaux
Bien que l’affaire concerne un contrat de location professionnelle, la portée de la solution est générale. Elle s’étend à toutes les transactions commerciales entre entreprises où le contrat met à la charge d’une partie le remboursement de frais engagés par l’autre. On peut penser aux contrats de prestation de services incluant le remboursement de frais de déplacement ou aux contrats d’entreprise prévoyant la refacturation de matériaux. Dans tous ces cas, le créancier pourra se prévaloir de la protection offerte par la directive pour l’ensemble des factures impayées, et non pour les seules factures relatives à sa prestation principale.
Cette clarification renforce considérablement la sécurité juridique pour les opérateurs économiques. Les entreprises créancières savent désormais que l’intégralité de leurs créances contractuelles est couverte par le mécanisme de lutte contre les retards de paiement. La décision de la Cour de justice assure ainsi une application plus complète et effective de la directive 2011/7, en garantissant que son effet dissuasif s’applique à la totalité des flux financiers convenus entre les partenaires commerciaux.