Cour d’appel de Versailles, le 19 juin 2025, n°24/01170

Par un arrêt du 19 juin 2025, la cour d’appel de Versailles tranche un différend né d’un bail commercial affecté par les restrictions liées à la pandémie. Le preneur, exploitant un magasin d’habillement, a cessé de régler intégralement les loyers, s’est opposé à un prélèvement, puis a apuré l’arriéré par versement global. Un commandement visant clause résolutoire a été délivré le 18 octobre 2021, avant qu’un paiement total n’intervienne le 30 septembre 2022. Par jugement du 7 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Pontoise a suspendu la clause résolutoire, réduit la clause pénale à 10 000 euros, et rejeté résiliation et dommages. Les appels portent sur les délais, la pénalité, les intérêts légaux, la mise hors de cause d’associées, et une responsabilité délictuelle alléguée du bailleur.

La juridiction d’appel devait principalement dire si des délais rétroactifs pouvaient être accordés au preneur ayant intégralement payé, et jusqu’où modérer la clause pénale contractuelle. Se posaient aussi la délimitation de la saisine par l’article 954 du code de procédure civile, la recevabilité des intérêts moratoires, la présence d’associées garantes dans la cause, et l’existence d’une faute du bailleur. La cour confirme, refuse les intérêts faute de base et d’assiette, écarte la mise hors de cause, rejette les dommages, et laisse chaque partie à ses dépens.

I. Le sens des solutions retenues

A. Délais suspensifs et bonne foi du preneur

La cour situe sa démarche dans le cadre de l’article L.145-41 du code de commerce, combiné avec l’article 1343-5 du code civil. Elle cite une formule de principe, qui oriente directement la solution, en ces termes: « Il est acquis, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, que les juges peuvent accorder rétroactivement des délais de paiement au débiteur de bonne foi qui s’est acquitté de l’intégralité de sa dette au jour où ils statuent. » L’apurement intégral au 30 septembre 2022 rend juridiquement opérante cette possibilité, dès lors que la clause résolutoire n’avait pas produit ses effets.

Le débat sur la bonne foi est tranché par une appréciation concrète, liée au contexte sanitaire et au règlement global intervenu après la clarification jurisprudentielle du 30 juin 2022. La cour relève de façon nette: « Sa prétendue mauvaise foi n’est donc pas caractérisée. » L’arrêt admet ainsi le caractère rétroactif des délais, tout en soulignant le faible enjeu pratique, l’arriéré étant entièrement apuré au jour où il statue. La lecture est classique et se détache de tout usage dissuasif de la clause résolutoire lorsque les conditions de régularisation légale sont réunies.

B. Modération de la clause pénale et appréciation concrète du préjudice

Le bail contenait une majoration forfaitaire de 10% applicable dès le premier jour de retard. La cour rappelle la règle de pouvoir modérateur, en ces termes généraux et dépourvus d’ambiguïté: « Quoi qu’il en soit, en vertu de l’article 1152 ancien du code civil comme de l’article 1231-5 qui lui a succédé, le juge peut, même d’office, modérer la peine qui avait été convenue entre les parties à un contrat si elle est manifestement excessive. » La mesure de la peine suppose une confrontation à la réalité des paiements et aux circonstances restrictives issues des fermetures administratives.

Appréciant le préjudice effectif, la cour valide la réduction opérée en première instance et souligne l’équilibre atteint: « Le tribunal a fait une juste appréciation des faits de la cause et du droit des parties en réduisant le montant de la clause pénale à 10 000 euros, et le jugement sera donc confirmé sur ce point. » Le contrôle de proportionnalité retient trois éléments déterminants: l’existence de paiements durant la période, l’apurement intégral avant le jugement, et l’absence de corrélation mécanique entre le solde maximal et le quantum de la peine. La solution, attentive à la mesure, illustre une mise en œuvre concrète du pouvoir modérateur au regard du dommage réellement subi.

II. La valeur et la portée de l’arrêt

A. Rigueur de la saisine, intérêts moratoires et méthode contentieuse

La cour encadre strictement sa saisine, en rappelant la règle procédurale cardinale: « Il est rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, à condition qu’elles soient soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu’elle ne répond aux moyens que pour autant qu’ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions. » Exiger des conclusions précises protège l’économie du procès et assure la lisibilité des prétentions soumises au juge d’appel.

La demande d’intérêts au taux légal se heurte à une double carence, tenant à l’absence de fondement articulé et à l’imprécision de l’assiette au regard des paiements partiels. La formulation lapidaire cristallise la sanction procédurale attachée à cette insuffisance: « La cour ne peut en conséquence que rejeter la demande de la société appelante, qui n’est fondée ni en droit ni en fait. » L’arrêt délivre un message méthodologique clair: la créance d’intérêts sur sommes d’argent suppose l’identification du texte mobilisé et la ventilation des échéances, spécialement en présence de règlements successifs.

B. Responsabilité alléguée du bailleur, mise hors de cause et frais irrépétibles

Sur la responsabilité délictuelle, la cour replace le litige dans l’autorité du contrat, en rappelant que les stipulations du bail gouvernent l’activité autorisée et le prix. Elle énonce d’abord que « le montant du loyer, les modalités de sa révision et l’affectation exclusive des lieux loués à une activité de prêt à porter, chaussures et sportswear résultent des stipulations expresses du bail, qui font la loi des parties. » L’argument tiré d’un loyer prétendument excessif ou d’obstacles à la cession du droit au bail ne prospère pas sans démonstration d’une faute distincte et d’un lien causal probant. La jurisprudence du 30 juin 2022, confirmant l’exigibilité des loyers malgré les restrictions sanitaires, ôte toute pertinence à l’idée d’une illégalité du recouvrement forcé.

Les sociétés associées, appelées en intervention forcée en raison d’engagements de garantie pris en cours de procédure collective, sont maintenues dans la cause en appel. La cour juge, sans équivoque: « Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande de mise hors de cause. » Cette solution préserve l’opposabilité de la décision à des entités directement intéressées à l’issue du litige, nonobstant l’apurement intervenu.

Enfin, l’arrêt clôt l’ensemble des prétentions accessoires en neutralité stricte sur les frais irrépétibles: « Et aucune considération d’équité ne justifie qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque, que ce soit en première instance ou en appel. » La symétrie de traitement confirme la ligne directrice de l’arrêt, marquée par une économie contentieuse sans surcoût procédural.

Ainsi, l’arrêt concilie la sécurité du bail commercial et l’équité contractuelle, en articulant les délais de l’article L.145-41 avec la modération de l’article 1231-5, tout en exigeant une rigueur de prétention conforme à l’article 954 du code de procédure civile. Cette combinaison, éclairée par les décisions du 30 juin 2022, fournit un cadre opératoire stable aux litiges post-pandémiques relatifs aux loyers commerciaux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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