Cour d’appel de Paris, le 18 juin 2025, n°22/18246

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Rendue par la Cour d’appel de Paris le 18 juin 2025 (pôle 5, chambre 4, RG n° 22/18246), la décision commentée tranche un litige relatif à la rupture d’une relation commerciale établie entre un transporteur et un distributeur de mobilier sanitaire en ligne. La rupture, notifiée le 18 novembre 2019 avec un préavis de quatre mois, a suscité débat sur la suffisance et surtout l’effectivité du délai, outre des demandes indemnitaires annexes et des contestations tarifaires.

Les faits tiennent à un courant d’affaires continu depuis janvier 2014, le transporteur assurant l’acheminement des marchandises vers la clientèle du donneur d’ordre. À la suite de la notification de rupture, l’activité confiée a significativement décru pendant la période de préavis. L’assignation a été délivrée en février 2021.

Par jugement du 27 septembre 2022, le tribunal de commerce de Marseille a jugé suffisant le préavis de quatre mois, rejeté la demande fondée sur une baisse globale du chiffre d’affaires, déclaré inopposable une hausse tarifaire notifiée à une adresse non habituelle, et retenu une procédure abusive. L’appel a été relevé en octobre 2022; l’ordonnance de clôture est intervenue le 5 mars 2025.

Devant la Cour, l’appelante sollicitait la reconnaissance d’une rupture brutale, un préavis de six mois, la réparation d’une perte de marge durant le préavis, l’indemnisation d’une baisse de chiffre d’affaires antérieure et le paiement de reliquats facturés. L’intimée requérait la confirmation du jugement, la validation du préavis, le rejet des demandes pécuniaires, ainsi qu’une condamnation pour abus.

La question posée était double. D’une part, déterminer si la durée et l’effectivité du préavis, au regard de l’article L. 442-1, II du code de commerce, satisfaisaient aux exigences de la relation établie. D’autre part, préciser la méthode de réparation du préjudice et l’opposabilité d’une hausse tarifaire notifiée selon des modalités contestées. La Cour confirme la suffisance de la durée, constate l’insuffisance d’effectivité du préavis, indemnise la perte de marge correspondante, rejette les prétentions relatives à la baisse globale d’activité et aux factures rehaussées, et écarte toute procédure abusive.

I. Appréciation du préavis au regard de la relation établie

A. Le cadre légal et la suffisance temporelle du délai de quatre mois
La Cour rappelle le texte applicable et en déduit les critères d’analyse. Elle cite d’abord l’article L. 442-1, II, tel que reproduit dans l’arrêt: « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne (…) de rompre brutalement (…) une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale. » L’exigence d’un écrit structurant la temporalité de la sortie est soulignée par une précaution nette: « Le préavis doit se présenter sous la forme d’une notification écrite. »

La qualification de relation établie est, selon la Cour, guidée par des indices de continuité et de prévisibilité. Elle précise que « La relation, pour être établie (…) doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible. » L’ancienneté proche de six années, l’absence d’exclusivité et le volume d’affaires orientent l’appréciation de la durée raisonnable du préavis. En ce sens, la juridiction affirme que « Le tribunal a justement considéré que ce délai de 4 mois était suffisant au regard de près de six années de relations et du volume d’affaires. » La durée retenue excède le délai contractuel et cadre avec l’annexe réglementaire du code des transports; elle préserve la sécurité juridique sans figer d’automatisme sectoriel.

B. Le contrôle d’effectivité du préavis et la prise en compte des flux réels
Le débat se déplace vers l’effectivité, distincte de la durée abstraite. La Cour rappelle l’objet de cette étape: « Le délai de préavis, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser. » Elle confronte ensuite l’écrit à la réalité mesurée des flux et mobilise des données consolidées. Le constat chiffré est explicite: « La moyenne mensuelle du chiffre d’affaires s’est élevée à 8 544€ HT (…) ce dont il résulte une baisse d’environ 43% au cours des 4 mois de préavis. »

La juridiction écarte les justifications macroéconomiques ou saisonnières et retient l’ineffectivité partielle du préavis. Elle affirme: « Ni la conjoncture économique, ni les variations saisonnières ne peuvent expliquer une telle baisse, il en résulte que le préavis n’a pas été totalement effectif. » Le contrôle opéré est ainsi concret, dynamique et attaché aux flux, non aux seules stipulations. Il protège la finalité du préavis, qui vise une transition opérable, non une simple apparence de maintien.

II. Réparation du préjudice et incidences accessoires

A. La méthode indemnitaire par la marge sur coûts variables et le rejet des variations globales
Ayant constaté l’ineffectivité partielle, la Cour retient une méthode d’évaluation fidèle aux paramètres économiques de la relation. Elle énonce que « Le préjudice économique (…) s’évalue en comparant la marge qui aurait dû être perçue (…) à la marge effectivement perçue. » Elle précise la référence opératoire: « La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées. »

La mise en œuvre, appuyée sur un taux de marge éprouvé, aboutit à une somme calibrée à la durée non réalisée du préavis, sans confondre chiffre d’affaires et marge. La Cour refuse, parallèlement, d’indemniser une variation annuelle jugée peu probante, en relevant une fluctuation insuffisante pour caractériser un préjudice indemnisable en dehors du préavis. Elle retient « une baisse de chiffre d’affaires de 14,21%, baisse non significative ainsi qu’il a été dit. » La solution distingue nettement la réparation de l’ineffectivité du préavis, strictement circonscrite, et l’absence de preuve d’une désorganisation structurelle antérieure.

B. L’inopposabilité de la hausse tarifaire et l’absence de procédure abusive
La Cour confirme l’inopposabilité d’une hausse tarifaire notifiée à une adresse non contractuelle ou non usuelle, en alignant l’exigence d’information sur les usages constants entre les partenaires. L’économie de la solution tient à la protection de la confiance légitime, qui commande une notification conforme aux coordonnées pratiquées, spécialement lorsqu’une variation affecte un prix convenu.

S’agissant enfin de l’abus, la Cour écarte tout grief d’intention malicieuse. Elle relève que « Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, l’intention malicieuse de l’appelante n’est nullement établie. » L’erreur documentaire alléguée ne suffit pas à caractériser un détournement du droit d’agir. La réévaluation de l’article 700 et des dépens en tire une conséquence logique, l’intimée succombant partiellement sur l’effectivité du préavis et totalement sur l’abus.

L’arrêt offre ainsi une grille opératoire claire. Il valide la durée du préavis par référence aux critères classiques, mais corrige l’exécution lorsque les flux démontrent un maintien insuffisant. Il consacre la marge sur coûts variables comme standard indemnitaire pour la période non effective, rejette les prétentions fondées sur des variations globales mal pertinentes, sécurise la notification des hausses de prix et réaffirme une conception rigoureuse de l’abus procédural.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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