Cour d’appel de Paris, le 13 juin 2025, n°22/14207

Cour d’appel de Paris, 13 juin 2025. La vente d’un immeuble d’habitation a été conclue après un diagnostic amiante négatif, alors qu’un diagnostic antérieur mentionnait des matériaux contenant de l’amiante. L’acquéreur a agi contre les vendeurs sur le fondement des vices cachés, contre le diagnostiqueur sur le fondement délictuel, et a sollicité l’indemnisation de plusieurs chefs de préjudice. Les vendeurs ont invoqué une clause d’exonération, tout en admettant partiellement leur garantie pour certains composants. Le diagnostiqueur a soutenu l’existence d’une obligation de moyens, et l’impossibilité de repérages destructifs. Le litige a aussi porté sur l’étendue d’une condamnation in solidum et sur la charge finale entre coresponsables. La juridiction d’appel confirme la garantie des vendeurs pour les matériaux connus grâce au diagnostic antérieur, valide la clause exonératoire pour les éléments non repérables à la vente, retient la faute du diagnostiqueur pour les composants accessibles, fixe les réparations, et refuse une in solidum croisée entre les régimes.

La question de droit portait sur l’articulation entre la garantie des vices cachés et la responsabilité du diagnostiqueur en cas d’erreur de repérage sans sondage destructif, sur la validité d’une clause exonératoire face à la mauvaise foi, et sur la possibilité d’une condamnation in solidum au regard de dommages identiques issus de fautes distinctes. La décision énonce par ailleurs des critères probatoires précis, tant sur l’antériorité et la gravité du vice que sur l’accessibilité des matériaux à la date de la vente, puis arrête une méthode de chiffrage distinguant coûts de retrait et préjudices personnels.

I. Le sens de la décision

A. Clause d’exonération et mauvaise foi du vendeur

La juridiction retient la garantie des vices cachés pour les parois de l’annexe et la toiture, connues des vendeurs par un diagnostic antérieur annexé à leur propre acte d’acquisition. La clause d’exonération est écartée pour ces éléments, la mauvaise foi étant caractérisée par la connaissance et la dissimulation du vice. Pour les panneaux extérieurs de l’étage, dissimulés sous crépi et isolant, la clause joue, faute de visibilité à la vente et d’éléments établissant la connaissance des vendeurs. Le raisonnement distingue ainsi, avec rigueur, les composants accessibles et connus de ceux restés non apparents et inconnus, tout en rappelant la charge probatoire pesant sur l’acquéreur.

L’arrêt traduit ici une lecture classique des articles 1641 et suivants, ordonnée autour des critères cumulatifs du vice caché, et d’un contrôle serré de la bonne foi. La solution consacre un contrôle factuel exigeant sur l’accessibilité des matériaux litigieux à la date de la vente, en refusant toute inférence automatique tirée de la présence d’amiante dans d’autres éléments de l’ouvrage.

B. Faute du diagnostiqueur et responsabilité délictuelle

La juridiction retient la faute du diagnostiqueur pour n’avoir pas repéré l’amiante dans les parois du garage et la toiture, composants listés par les normes applicables et accessibles sans sondage destructif. Elle écarte l’argument tenant au « repérage sonore », absent des textes, et constate l’incohérence des mentions d’inaccessibilité, les lieux figurant pourtant comme visités. En revanche, aucune faute n’est retenue pour les panneaux extérieurs dissimulés à la date du diagnostic.

Le fondement délictuel est expressément adossé à la jurisprudence de principe, ainsi rappelée et appliquée par la juridiction d’appel: « L’acquéreur d’un immeuble ayant reçu une information erronée est fondé à rechercher la responsabilité délictuelle du diagnostiqueur en raison du dommage que lui cause la mauvaise exécution, par ce technicien, du contrat qu’il a conclu avec le vendeur (3ème chambre civile, 9 juillet 2020, pourvoi n° 18-23.920) ». La décision s’inscrit encore dans la lignée qui rattache le préjudice au caractère obligatoire du diagnostic annexé à l’acte, en ces termes: « C’est le caractère obligatoire de l’annexion à l’acte de vente d’un diagnostic, source d’une obligation de garantie, qui fonde la jurisprudence de la Cour de cassation, aux termes de laquelle, l’acquéreur, dont le bien acquis contient de l’amiante alors que le diagnostic amiante erroné ne le précise pas, a subi un préjudice certain et le diagnostiqueur doit être condamné à lui payer le coût du désamiantage (3ème chambre civile, 12 novembre 2015, pourvoi n°14-12.693) ». L’assureur du diagnostiqueur est tenu in solidum avec son assurée, sous réserve de la franchise contractuelle.

II. Valeur et portée

A. Le refus d’une in solidum croisée et son orthodoxie

La juridiction refuse d’ordonner une condamnation in solidum entre vendeurs et diagnostiqueur, retenant des fondements distincts et des obligations de nature différente, tout en condamnant chaque groupe à des montants identiques pour des chefs identiques. Elle rappelle la définition prétorienne du mécanisme: « La responsabilité in solidum est un principe de création jurisprudentielle, signifiant que dès lors que les diverses fautes des responsables ont concouru de manière indissociable à la production du dommage, un responsable de ce dommage peut être condamnés à réparer l’intégralité du préjudice de la victime, à charge pour lui de se retourner ensuite vers les co-auteurs à dû concurrence de leur propre part de responsabilité ».

Cette motivation, très didactique, se montre toutefois plus restrictive que la pratique usuelle, laquelle admet l’in solidum malgré la pluralité des fondements, dès lors que le dommage est unique et les fautes convergentes. La portée est donc ambivalente: l’arrêt clarifie l’autonomie des régimes et l’absence de garantie récursoire due aux vendeurs, mais il pourrait susciter des débats sur la sécurité du recouvrement par l’acquéreur lorsque la solidarité judiciaire est refusée entre coresponsables de même dommage.

B. L’évaluation des préjudices et les enseignements pratiques

La juridiction distingue soigneusement le coût des travaux nécessaires pour la toiture, en excluant les postes relatifs aux panneaux extérieurs non garantis. Elle retient un total de 36.830,08 euros, fondé sur un devis de retrait, diminué des postes non imputables, augmenté d’un devis de réfection compatible. Elle indemnise un mois de privation de jouissance à hauteur de 3.000 euros, et alloue 3.000 euros de préjudice moral lié à l’inquiétude sanitaire, en refusant un poste supplémentaire non autonome.

L’enseignement est double. Sur le principe, la présence d’amiante suffit à caractériser un préjudice certain, sans exiger la preuve d’une obligation réglementaire immédiate de retrait. Sur la méthode, le juge isole les postes strictement causaux, évite les doublons entre retrait et réfection, et encadre les préjudices personnels par des critères concrets (durée des travaux, angoisse spécifique). L’arrêt renforce enfin une articulation opératoire: garantie des vendeurs pour les vices connus et apparents au sens technique, responsabilité du diagnostiqueur pour les composants accessibles et normativement listés, et maintien de l’efficacité de l’assurance de responsabilité civile, sous franchise.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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