Cour d’appel administrative de Nancy, le 1 avril 2025, n°21NC02150

La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 1er avril 2025, un arrêt précisant le régime juridique du décompte général et définitif tacite. Dans cette affaire, un pouvoir adjudicateur a confié la réalisation de travaux de charpente à une entreprise privée pour la construction d’un équipement sportif. Suite à l’achèvement du chantier, le titulaire a transmis ses projets de décompte sans obtenir de réponse explicite de la part du maître d’ouvrage. L’entreprise a alors saisi le Tribunal administratif de Nancy pour obtenir le versement du solde financier qu’elle estimait dû au titre du marché. Par un jugement du 1er juin 2021, les premiers juges ont toutefois rejeté sa demande, ce qui a conduit la société requérante à porter le litige devant l’instance d’appel. Le problème juridique porte sur la force obligatoire du décompte tacite lorsque l’administration invoque des paiements déjà effectués pour refuser de payer le solde. La juridiction d’appel annule le jugement initial et condamne l’administration au paiement, en soulignant l’irrévocabilité des engagements financiers nés de la procédure de décompte. L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’efficacité procédurale du décompte tacite avant d’examiner l’autorité définitive attachée au solde ainsi établi par les parties.

I. L’efficacité procédurale et l’établissement du décompte général tacite

L’arrêt commence par écarter les obstacles formels qui auraient pu empêcher l’examen au fond des prétentions financières formulées par la société titulaire du marché. Cette première partie sera consacrée à l’éviction de la réclamation préalable puis aux conditions strictes de formation du décompte général et définitif par voie tacite.

A. L’éviction de la procédure de réclamation préalable de l’article 50

Le juge administratif considère que « la procédure de réclamation prévue à l’article 50 du même cahier ne saurait être applicable » en présence d’un décompte tacite. L’obligation d’adresser un mémoire en réclamation s’efface devant le caractère définitif du solde né de l’absence de contestation par le pouvoir adjudicateur concerné. Cette solution simplifie l’accès au juge pour le cocontractant de l’administration, dès lors que le montant de sa créance est devenu juridiquement incontestable et liquide. Le titulaire se prévalant d’un décompte général et définitif tacite n’est donc pas tenu de respecter les délais de forclusion propres aux réclamations administratives classiques.

B. La formation rigoureuse du décompte général et définitif tacite

La Cour administrative d’appel de Nancy souligne que le silence prolongé de l’autorité administrative, après réception du projet de décompte, entraîne des conséquences juridiques automatiques. En l’espèce, l’absence de notification d’un décompte général dans le délai de dix jours a transformé le projet du titulaire en document contractuel définitif et opposable. Le mécanisme stipulé à l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales sécurise la situation financière des entreprises face à l’inertie éventuelle des maîtres d’ouvrage. Une fois cette étape franchie, le décompte lie les parties tant sur le montant des travaux exécutés que sur le règlement définitif des comptes du marché.

II. L’autorité de la chose décidée attachée au solde du marché

L’arrêt consacre la primauté du compte global sur les justificatifs de paiement isolés produits par l’administration pour tenter d’échapper à ses obligations contractuelles nées. Nous examinerons d’abord l’impossibilité de contester les éléments du solde avant d’envisager les modalités de versement des intérêts moratoires sanctionnant le retard de paiement.

A. L’impossibilité de contester le solde par des preuves de paiement antérieures

L’administration invoquait une attestation de la direction départementale des finances publiques pour démontrer que l’intégralité des sommes avait déjà été versée au titulaire. Le juge administratif écarte cet argument car « seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties ». Le principe d’unicité du décompte interdit aux cocontractants d’isoler une opération financière pour remettre en cause le résultat comptable final validé par la procédure contractuelle. En négligeant de modifier le décompte dans les délais impartis, le pouvoir adjudicateur s’est privé de la possibilité d’opposer ses propres règlements antérieurs à l’entreprise.

B. La sanction pécuniaire de l’inexécution des obligations financières

La condamnation de l’établissement public est assortie d’intérêts moratoires dont le point de départ est fixé à l’expiration du délai de paiement du solde. Le taux applicable est celui de la Banque centrale européenne majoré de huit points, conformément aux dispositions du décret relatif à la lutte contre les retards. Cette décision rappelle fermement que le respect des délais de procédure en matière de marchés publics constitue une garantie essentielle pour le paiement des opérateurs économiques. La Cour administrative d’appel de Nancy assure ainsi une application stricte des clauses administratives générales afin de prévenir toute résistance abusive de la part des acheteurs.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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