La Cour administrative d’appel de Lyon, par une décision rendue le 5 juin 2025, se prononce sur la compétence juridictionnelle relative à l’exécution d’une servitude de passage. Une société civile immobilière a acquis un ensemble immobilier comprenant deux bâtiments et des parkings souterrains, grevé de servitudes conventionnelles de passage au profit d’un établissement public. Suite à des infiltrations d’eau persistantes dans les niveaux de stationnement, le propriétaire a recherché la responsabilité de la personne publique pour manquement à son obligation d’entretien des cheminements. Le tribunal administratif de Grenoble a condamné la collectivité à indemniser la société et a enjoint la réalisation de travaux, tout en appelant l’assureur en garantie. Ce dernier a interjeté appel afin de contester sa condamnation et l’obligation de garantir les travaux de reprise sur l’ouvrage. La juridiction d’appel doit déterminer si le litige né de l’inexécution d’une servitude conventionnelle de passage entre une personne privée et une personne publique relève de la compétence administrative. Les magistrats considèrent que l’acte constituant cette servitude présente le caractère d’un contrat de droit privé, rendant le juge administratif incompétent pour en connaître. L’analyse de cette solution impose d’étudier la qualification de l’acte de droit privé avant d’envisager les conséquences procédurales de l’incompétence administrative.
I. La qualification de contrat de droit privé de la convention de servitude
A. L’absence de critères caractérisant un contrat administratif
La Cour administrative d’appel de Lyon fonde son raisonnement sur l’analyse précise des clauses et de l’objet de la convention liant les parties. Elle rappelle que l’octroi d’un droit de passage constitue un acte de droit privé si ses stipulations n’autorisent pas de prérogatives exorbitantes du droit commun. En l’espèce, les magistrats soulignent que l’engagement d’entretien des cheminements piétonniers aurait pu être « consenti par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales ». Le contenu de l’accord ne fait naître aucune obligation étrangère par sa nature aux rapports habituels entre propriétaires privés régis par le Code civil. La simple référence au pouvoir de police générale du maire dans l’acte ne suffit pas à conférer un caractère administratif à cette relation contractuelle. L’acte de 1972 instituant la servitude doit donc être regardé comme une convention purement civile malgré la présence d’une personne publique au contrat.
B. La primauté du fondement contractuel sur la nature des travaux
La juridiction précise que la nature des travaux éventuellement réalisés sur la dalle ne modifie pas la compétence juridictionnelle applicable au litige principal. Selon l’arrêt, une personne privée liée par contrat à une personne publique ne peut exercer d’autre action que celle « procédant de ce contrat ». Cette règle s’applique impérativement même si la cause du dommage réside dans l’absence de réalisation de travaux revêtant par ailleurs le caractère de travaux publics. L’existence potentielle d’un ouvrage public ou l’exécution de missions d’intérêt général n’influent pas sur le régime juridique d’une responsabilité contractuelle de droit privé. Les juges d’appel rejettent ainsi l’analyse de la requérante qui tentait de maintenir la compétence administrative par l’invocation de la notion de travaux publics. Cette rigueur dans la qualification contractuelle entraîne nécessairement un déclin de compétence au profit des tribunaux de l’ordre judiciaire.
II. L’incompétence de la juridiction administrative et l’annulation du jugement
A. Le rappel de l’exclusivité de la compétence du juge judiciaire
Le juge administratif tire les conséquences directes de la nature civile du contrat en affirmant l’incompétence de son ordre de juridiction. L’arrêt énonce clairement que les litiges relatifs à l’inexécution d’une obligation résultant d’un contrat de droit privé « relèvent de la compétence du juge judiciaire ». Cette solution garantit le respect de la séparation des autorités administratives et judiciaires telle qu’elle résulte de la loi des 16 et 24 août 1790. La Cour refuse de se prononcer sur le fond du droit et les responsabilités respectives de la collectivité et de la société civile immobilière. Le principe de compétence suit l’accessoire contractuel dès lors que le litige trouve son origine exclusive dans les stipulations d’une servitude conventionnelle. Par conséquent, les conclusions indemnitaires et les demandes d’injonction formées par le propriétaire foncier doivent être portées devant les tribunaux civils compétents.
B. L’irrégularité du jugement et l’extinction des appels en garantie
L’incompétence relevée par la Cour entraîne l’annulation partielle de la décision rendue en première instance pour cause d’irrégularité flagrante. Le tribunal administratif de Grenoble a méconnu les règles de répartition des compétences en statuant sur un litige contractuel échappant à son contrôle juridictionnel. En annulant les articles condamnant l’établissement public, la Cour rend par là même sans objet les conclusions d’appel en garantie dirigées contre l’assureur. Cette décision de rejet ne préjuge pas de l’issue d’une future instance introduite devant le juge judiciaire par la société victime des infiltrations. L’arrêt se borne à rétablir la légalité procédurale en censurant une erreur de droit commise par les juges de premier ressort. Cette solution confirme la difficulté de caractériser un contrat administratif en présence de servitudes civiles classiques malgré l’implication d’une personne publique territoriale.