Le Conseil d’État a rendu le 6 juin 2025 une décision majeure concernant le contrôle de la régularité des arrêts d’appel. Une autorité municipale avait délivré un permis de construire pour un hôtel sur plusieurs parcelles situées dans un secteur urbain sauvegardé. Des voisins et un groupement de copropriétaires ont contesté cet acte ainsi qu’un permis modificatif devant la juridiction administrative pour excès de pouvoir. Le tribunal administratif de Rennes avait initialement rejeté ces demandes par un jugement rendu au fond le 2 mars 2022. La cour administrative d’appel de Nantes a partiellement annulé les arrêtés contestés le 18 avril 2023. La juridiction d’appel a estimé que le projet méconnaissait les dispositions relatives à la hauteur des constructions prévues par le règlement local d’urbanisme. Le Conseil d’État est saisi de pourvois en cassation par l’autorité municipale et le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme désormais annulée. La haute juridiction doit déterminer si un juge d’appel peut annuler un acte sans examiner les fins de non-recevoir soulevées en première instance. Elle doit préciser les modalités d’appréciation de la hauteur d’une construction nouvelle par rapport au bâti protégé environnant dans un secteur sauvegardé. Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel pour irrégularité procédurale et erreur de droit dans l’interprétation des règles de volumétrie du plan de sauvegarde.
I. L’irrégularité formelle de l’arrêt d’appel relative à l’omission des fins de non-recevoir
A. L’obligation de statuer sur les fins de non-recevoir non abandonnées
La décision rappelle qu’un juge d’appel ne peut faire droit à des conclusions sans écarter expressément les fins de non-recevoir opposées devant lui. Le juge de première instance avait rejeté la demande au fond sans avoir besoin de trancher les contestations relatives à la recevabilité des requérants. Le pétitionnaire avait soulevé plusieurs moyens tirés du défaut d’intérêt pour agir des voisins et du groupement de copropriétaires contre les permis litigieux. La cour administrative d’appel de Nantes a fait droit aux demandes d’annulation sans s’être préalablement prononcée sur ces fins de non-recevoir initialement formulées. « Le juge d’appel ne peut faire droit à ces conclusions qu’après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir », précise fermement la haute juridiction administrative. Cette obligation s’impose au juge même si le défendeur n’a pas explicitement repris ces arguments de défense dans le cadre de l’instance d’appel.
B. La recevabilité de l’invocation de l’irrégularité par une partie co-défenderesse
Le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles un moyen tiré de l’irrégularité de l’arrêt peut être invoqué devant le juge de cassation. L’autorité municipale est jugée recevable à invoquer cette omission alors que les fins de non-recevoir avaient été initialement opposées par le seul pétitionnaire. En sa qualité de co-défenderesse à la même instance, l’administration peut se prévaloir du défaut de réponse à un argument soulevé par une autre partie. Cette solution garantit le respect du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et assure une vérification rigoureuse des conditions de recevabilité des requêtes. L’annulation pour ce motif de forme précède l’examen du fond du litige relatif aux règles d’urbanisme applicables dans le périmètre du secteur sauvegardé.
II. L’interprétation finaliste des règles de hauteur dans un secteur sauvegardé
A. Le dépassement d’une lecture purement littérale de la règle de proximité
Le litige porte sur l’application de l’article 3 du règlement du plan de sauvegarde limitant la hauteur maximale de la construction nouvelle à édifier. Cette règle impose de ne pas dépasser la hauteur de la façade protégée « la plus proche et la plus haute » située dans l’environnement immédiat. La cour administrative d’appel de Nantes s’était bornée à comparer le projet avec une seule construction protégée qu’elle considérait comme la plus proche. Le Conseil d’État censure ce raisonnement en estimant que le juge doit prendre en compte l’ensemble des bâtiments protégés situés aux abords du projet. Une approche purement arithmétique de la distance ne suffit pas à garantir l’objectif de protection architecturale poursuivi par le règlement du secteur sauvegardé.
B. L’exigence d’une insertion harmonieuse dans la volumétrie globale des abords
La haute juridiction exige une analyse concrète de l’insertion du projet dans son environnement en tenant compte de la configuration des lieux et des vues. Les dispositions du plan ont pour objet de « garantir l’insertion des constructions nouvelles dans leur environnement en prévenant les ruptures d’harmonie en hauteur » entre bâtis. Le juge doit rechercher si la construction respecte une « cohérence volumétrique globale avec les différentes constructions et façades protégées implantées à ses abords immédiats ». En se focalisant sur un unique bâtiment voisin, le juge d’appel a commis une erreur de droit en négligeant la réalité visuelle du quartier urbain. Cette décision renforce le pouvoir d’appréciation qualitative de l’administration et du juge lors de l’instruction des autorisations d’urbanisme dans les zones historiques.