Le Conseil d’État a rendu, le 31 décembre 2024, une décision relative à l’imposition des sommes inscrites au crédit du compte courant d’un dirigeant de société immobilière. Cette affaire soulève la question de la disponibilité des fonds ainsi que celle du respect par le juge du fond des limites du litige.
Un contribuable, gérant d’une société civile immobilière, a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2010 à 2012. L’administration a réintégré dans son revenu imposable une rémunération de 1 150 000 euros inscrite au crédit de son compte courant d’associé à la fin de l’année 2010. Le tribunal administratif de Versailles a partiellement rejeté la demande de décharge des suppléments d’impôt et des pénalités par un jugement du 23 février 2021.
Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Versailles a, par un arrêt du 6 juillet 2023, réduit la base d’imposition du montant total de la rémunération litigieuse. Le ministre de l’économie s’est alors pourvu en cassation contre cette décision en invoquant une inversion de la charge de la preuve et un dépassement des conclusions. La Haute Juridiction devait déterminer si les preuves de l’insolvabilité de la société étaient suffisantes et si le juge d’appel pouvait statuer au-delà des demandes initiales.
Le Conseil d’État valide le raisonnement des juges du fond sur la preuve de l’indisponibilité mais censure l’arrêt pour avoir accordé une décharge excédant les prétentions des requérants. L’analyse portera sur l’appréciation de la disponibilité des sommes inscrites en compte courant avant d’examiner la sanction du dépassement des conclusions par le juge.
I. L’appréciation de la disponibilité des sommes inscrites en compte courant d’associé
La qualification fiscale des crédits inscrits en compte courant repose sur une présomption de disponibilité que le contribuable peut toutefois renverser par la preuve contraire. Cette preuve doit démontrer l’impossibilité matérielle ou juridique de disposer des fonds à la clôture de l’exercice.
A. Le principe de l’imposition immédiate des crédits de compte courant
Le juge rappelle que « les sommes inscrites par une société au crédit du compte courant d’associé ouvert dans ses écritures au nom d’un de ses dirigeants sont à retenir ». Ces sommes sont imposables au titre de l’année de leur inscription si le retrait effectif n’est pas rendu impossible en fait ou en droit. La jurisprudence fiscale considère traditionnellement que l’inscription en compte vaut paiement, sauf si des circonstances particulières, comme une trésorerie insuffisante, font obstacle au retrait. En l’espèce, la rémunération avait été créditée le 30 décembre 2010, ce qui déclenchait en principe l’exigibilité de l’impôt pour cette même année civile.
B. L’administration de la preuve de l’indisponibilité des fonds
Le Conseil d’État précise qu’il « appartient au contribuable d’apporter la preuve que le retrait était impossible » afin de combattre la présomption de disponibilité. Pour juger que cette preuve était rapportée, la cour administrative d’appel de Versailles s’est fondée sur les relevés bancaires de la société à la date du 31 décembre. Ces documents n’affichaient que 68 558 euros de liquidités, alors que la société ne disposait d’aucune autorisation de découvert pour couvrir le million d’euros restant. La Haute Juridiction estime que le juge d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en se limitant aux actifs présentant un caractère suffisamment liquide et réalisable.
II. La sanction du dépassement des conclusions des parties par le juge du fond
Le juge administratif est strictement lié par les conclusions des parties et ne peut légalement accorder une décharge supérieure à celle demandée par le contribuable. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles est ici censuré pour avoir méconnu l’étendue du litige dont elle était régulièrement saisie.
A. La méconnaissance du cadre du litige fiscal
Le ministre soutenait avec succès que la cour avait statué au-delà des conclusions en prononçant une décharge de contributions qui n’étaient plus en litige. Il ressortait du dossier que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus n’avait pas été appliquée à la somme litigieuse par l’administration lors du contrôle. De plus, les contributions sociales afférentes à cette rémunération avaient déjà fait l’objet d’un dégrèvement prononcé par l’administration avant que le juge d’appel ne rende son arrêt. En déchargeant des sommes non réclamées ou déjà restituées, la cour a méconnu les principes fondamentaux régissant l’office du juge de l’impôt et la procédure contentieuse.
B. L’annulation partielle pour méconnaissance de l’étendue de la demande
Le Conseil d’État relève que « la cour administrative d’appel a statué, dans le dispositif de son arrêt, au-delà des conclusions dont elle était saisie ». L’administration fiscale avait limité ses rectifications à la somme de 978 000 euros après avoir pris en compte les rémunérations déjà déclarées par les contribuables. En fixant la réduction de la base d’imposition à 1 150 000 euros, le juge d’appel a accordé un avantage excédant le montant des redressements effectivement maintenus. La Haute Juridiction annule donc partiellement l’arrêt attaqué sans renvoyer l’affaire, mettant ainsi un terme définitif au litige sur ce point précis de procédure.