Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’exercice du droit au recours en matière environnementale. En l’espèce, des propriétaires et exploitants de terrains avaient formé un recours en annulation contre une décision administrative approuvant un plan de construction, au motif de l’insuffisance de l’évaluation environnementale préalable. Le recours fut rejeté par le Verwaltungsgericht, puis en appel par l’Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz, cette dernière juridiction considérant que le droit national de transposition n’était pas applicable temporellement. En effet, la procédure administrative avait été engagée avant le 25 juin 2005, date limite de transposition de la directive 2003/35/CE. De plus, la juridiction d’appel a estimé que la loi allemande ne prévoyait un recours qu’en cas d’omission totale de l’évaluation, et non pour une simple irrégularité. Saisie d’un pourvoi en « Revision », le Bundesverwaltungsgericht a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de ces interprétations avec le droit de l’Union. La question se posait de savoir si les nouvelles règles procédurales devaient s’appliquer aux procédures initiées avant la date limite de transposition mais conclues après cette date. Il était également demandé si le droit au recours couvrait les évaluations simplement irrégulières et non seulement leur absence complète. Enfin, la juridiction de renvoi questionnait la conformité d’une jurisprudence nationale subordonnant la recevabilité du recours à la preuve d’une incidence du vice de procédure sur la décision finale. La Cour de justice a répondu que les dispositions nationales de transposition s’appliquent aux autorisations délivrées après la date butoir, même si la procédure a été engagée antérieurement. Elle a également affirmé que le droit au recours doit s’étendre aux évaluations entachées d’irrégularités. Finalement, elle a admis la possibilité de subordonner l’annulation à l’influence du vice sur la décision, mais à la condition que la charge de la preuve ne pèse pas sur le requérant. La solution retenue par la Cour étend ainsi de manière significative l’effectivité du droit au recours en matière environnementale (I), tout en encadrant précisément les modalités de son exercice par le juge national (II).
I. L’extension de l’effectivité du droit au recours environnemental
La Cour de justice renforce le droit au recours en matière environnementale en consacrant une application temporelle large des garanties procédurales (A) et en élargissant le champ du contrôle juridictionnel aux évaluations simplement défaillantes (B).
A. L’application immédiate des garanties procédurales aux procédures en cours
La Cour de justice répond en premier lieu à la question de l’application dans le temps des dispositions de la directive 2003/35. Elle établit que les règles nationales transposant l’article 10 bis de la directive 85/337 doivent s’appliquer aux procédures d’autorisation qui, bien qu’engagées avant la date limite de transposition du 25 juin 2005, ont abouti à une décision après cette date. Pour ce faire, la Cour opère une distinction subtile entre les exigences de fond, comme la réalisation d’une évaluation environnementale, et les garanties procédurales, tel le droit de recours. Si la Cour a admis par le passé que l’obligation de réaliser une évaluation ne s’appliquait pas aux demandes formellement introduites avant l’expiration du délai de transposition, elle juge différemment pour le droit au recours. En effet, selon elle, les nouvelles exigences procédurales « ne peuvent être regardées comme alourdissant et retardant, en tant que telles, les procédures administratives, au même titre que la soumission elle-même des projets à une évaluation environnementale ». L’élargissement du droit de recours est une simple amélioration de l’accès à la justice, qui n’affecte pas une situation juridique déjà consolidée. Bien que cette extension puisse accroître le risque de contentieux et donc de retard, cet inconvénient est considéré comme « inhérent au contrôle de la légalité des décisions ». Cet arbitrage en faveur de l’effet utile des directives environnementales garantit que les justiciables puissent bénéficier sans délai des nouvelles voies de droit prévues par le législateur de l’Union.
B. L’inclusion des évaluations irrégulières dans le champ du contrôle
En second lieu, la Cour se prononce sur le périmètre matériel du contrôle juridictionnel. Elle affirme que l’article 10 bis de la directive 85/337 s’oppose à une législation nationale qui limiterait le droit de recours au seul cas de l’omission pure et simple de l’évaluation environnementale. Le droit de contester la légalité d’une décision doit également couvrir l’hypothèse où une évaluation a bien été réalisée, mais se révèle entachée d’irrégularités. La Cour juge qu’une interprétation contraire priverait les dispositions relatives à la participation du public « de l’essentiel de leur effet utile ». Une telle limitation serait en contradiction avec l’objectif de garantir un large accès à la justice, qui sous-tend la directive. Permettre la contestation uniquement en cas d’absence totale d’évaluation reviendrait à tolérer des études superficielles, incomplètes ou biaisées, vidant ainsi de sa substance l’obligation d’évaluer sérieusement les incidences d’un projet sur l’environnement. La Cour s’assure donc que le contrôle juridictionnel ne porte pas seulement sur l’existence formelle d’une procédure d’évaluation, mais également sur sa qualité et sa conformité aux exigences de la directive. Cette position est essentielle pour garantir l’intégrité du processus décisionnel et la protection effective de l’environnement, en permettant au public concerné de jouer pleinement son rôle de vigie.
II. L’encadrement judiciaire des conditions d’exercice du recours
Après avoir affirmé l’étendue du droit au recours, la Cour en précise les modalités d’exercice, en admettant sous conditions un critère de causalité pour les vices de procédure (A) tout en imposant un renversement de la charge de la preuve comme garantie d’effectivité (B).
A. L’admission conditionnelle du critère de causalité
La Cour de justice aborde ensuite la question délicate des conditions de recevabilité d’un recours fondé sur un vice de procédure. Elle examine si le droit de l’Union s’oppose à une jurisprudence nationale qui exige du requérant la preuve que la décision contestée aurait pu être différente sans le vice invoqué. La Cour adopte une position nuancée, reconnaissant que tout vice de procédure n’a pas nécessairement une incidence sur la légalité de la décision finale. Elle admet ainsi que « le droit national ne reconnaisse pas l’atteinte à un droit au sens de l’article 10 bis, sous b), de ladite directive s’il est établi qu’il est envisageable, selon les circonstances de l’espèce, que la décision contestée n’aurait pas été différente sans le vice de procédure invoqué ». Cette approche pragmatique permet d’éviter qu’une irrégularité purement formelle et sans conséquence ne puisse entraîner l’annulation systématique d’une autorisation, ce qui préserve une certaine sécurité juridique pour les porteurs de projet. La Cour reconnaît donc aux États membres une marge d’appréciation pour définir ce qui constitue une « atteinte à un droit », à condition que cette définition ne compromette pas l’objectif de large accès à la justice. Le juge national peut ainsi écarter les recours fondés sur des vices de procédure mineurs qui n’ont pas pu léser les droits du requérant.
B. Le renversement de la charge de la preuve comme garantie du principe d’effectivité
Cependant, la Cour assortit cette admission d’une condition fondamentale qui en modifie radicalement la portée pratique. Elle juge que si le critère de causalité est acceptable en principe, son application ne doit pas rendre l’exercice du droit au recours excessivement difficile, conformément au principe d’effectivité. Or, faire peser sur le demandeur la charge de prouver que le vice a eu une influence sur la décision serait précisément un tel obstacle, compte tenu de la complexité technique des procédures d’évaluation environnementale. Par conséquent, la Cour opère un renversement de la charge de la preuve. Elle précise que l’atteinte à un droit ne peut être écartée que si « l’instance juridictionnelle ou l’organe saisis du recours ne fassent aucunement peser la charge de la preuve à cet égard sur le demandeur ». Il appartient donc au juge de déterminer, au vu de l’ensemble du dossier et notamment des preuves fournies par le maître d’ouvrage ou l’autorité administrative, si la décision aurait été identique en l’absence du vice. Dans cette appréciation, le juge doit tenir compte de la gravité du vice et vérifier s’il a privé le public d’une des garanties essentielles prévues par la directive, comme l’accès à l’information ou la participation au processus décisionnel. Cette solution protège le justiciable contre une charge probatoire quasi impossible à satisfaire et assure que le droit au recours demeure un instrument effectif de contrôle de la légalité environnementale.