Cour de justice de l’Union européenne, le 4 octobre 2018, n°C-379/17

Par un arrêt du 4 octobre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application du règlement (CE) n° 44/2001 en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions. Saisie d’une question préjudicielle par le Bundesgerichtshof, la Cour était amenée à se prononcer sur l’articulation entre le droit de l’Union et les règles procédurales nationales. En l’espèce, une société créancière avait obtenu une ordonnance de saisie conservatoire d’un tribunal italien. Elle a ensuite sollicité et obtenu la déclaration de la force exécutoire de cette décision en Allemagne. Toutefois, sa demande d’inscription d’une hypothèque en garantie sur les biens du débiteur a été rejetée par les autorités allemandes. Le rejet était fondé sur l’expiration du délai d’un mois prévu par le code de procédure civile allemand pour l’exécution d’une telle mesure. L’affaire a été portée devant les juridictions supérieures allemandes, opposant la thèse du créancier, qui soutenait que le droit national ne pouvait faire obstacle à l’exécution d’un titre européen, à celle des juridictions du fond, qui estimaient que les modalités de l’exécution relevaient du droit de l’État requis. Le Bundesgerichtshof a donc interrogé la Cour sur la compatibilité avec le règlement d’une disposition nationale qui soumet l’exécution d’une ordonnance de saisie conservatoire étrangère à un délai de déchéance. La Cour de justice a répondu que l’article 38 du règlement n° 44/2001 ne s’oppose pas à l’application d’un tel délai prévu par le droit de l’État membre requis.

La solution clarifie la frontière entre la reconnaissance de la force exécutoire, régie par le droit de l’Union, et les voies d’exécution, qui demeurent sous l’empire du droit national (I). Elle consacre ainsi une application du principe d’équivalence procédurale qui renforce la sécurité juridique dans l’espace judiciaire européen (II).

I. La distinction réaffirmée entre la procédure d’exequatur et l’exécution proprement dite

La Cour de justice rappelle avec force la distinction fondamentale entre la procédure d’exequatur, qui vise à insérer une décision étrangère dans l’ordre juridique de l’État requis, et l’exécution matérielle de cette décision. Elle confirme ainsi le caractère circonscrit de la procédure d’exequatur (A) tout en réitérant l’autonomie des modalités nationales d’exécution (B).

A. Le caractère circonscrit de la procédure d’exequatur

L’arrêt souligne que le règlement n° 44/2001 a pour objectif principal d’assurer la libre circulation des décisions en simplifiant les formalités de reconnaissance. La procédure d’exequatur est conçue pour être « efficace et rapide ». Elle se fonde sur le principe de confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États membres. Pour cette raison, l’article 41 du règlement prévoit que la décision est déclarée exécutoire « après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution ». La procédure ne déclenche pas un nouveau procès, mais vise seulement à conférer à la décision étrangère les effets d’un titre exécutoire national.

L’objet de la procédure d’exequatur est donc strictement la reconnaissance des effets juridiques de la décision, indépendamment des « éléments de fait et de droit relatifs à l’exécution des obligations découlant de celle-ci ». Une fois la déclaration de force exécutoire obtenue, la phase de reconnaissance régie par le règlement est achevée. La décision est alors intégrée dans l’ordre juridique de l’État membre requis, mais sa mise en œuvre matérielle n’a pas encore commencé. La Cour confirme que le champ d’application du règlement s’arrête à ce stade, laissant place à une autre sphère normative.

B. L’autonomie persistante des modalités nationales d’exécution

La Cour énonce clairement que le règlement « ne touche pas à l’exécution proprement dite, qui reste soumise au droit national du juge saisi ». Cette phase subséquente est régie par la *lex fori executionis*. En l’occurrence, la disposition allemande prévoyant un délai d’un mois pour procéder à l’exécution d’une saisie conservatoire est qualifiée de règle procédurale d’exécution. Elle ne remet pas en cause la validité de l’ordonnance italienne ni sa force exécutoire, reconnue par la juridiction allemande. Elle conditionne uniquement les modalités temporelles de sa mise en œuvre forcée sur le territoire allemand.

Le fait qu’une telle règle puisse aboutir à priver d’effet l’exécution du titre ne modifie pas sa nature juridique. Elle reste une modalité procédurale, car le législateur de l’Union n’a pas harmonisé les règles relatives à l’exécution elle-même. Chaque État membre demeure donc libre de définir dans son ordre juridique les conditions applicables à l’exécution des titres, y compris ceux provenant d’autres États membres. Le délai national ne relève pas de la force exécutoire du titre mais bien de son exécution.

II. La consécration de l’autonomie procédurale au service de la sécurité juridique

En validant l’application du délai national, la Cour de justice ne se contente pas de tracer une frontière technique. Elle légitime l’application des contraintes procédurales nationales au nom d’une saine administration de la justice. Cette solution repose sur une application légitime du principe d’équivalence (A) et contribue plus largement à la prévisibilité de l’exécution transfrontalière (B).

A. La légitimité de l’assimilation du titre exécutoire étranger au titre national

L’arrêt applique un principe fondamental de l’exécution transfrontalière : une décision étrangère ne doit pas bénéficier d’un traitement plus favorable qu’une décision nationale de même nature. La Cour affirme qu’« il n’y a cependant aucune raison d’accorder à une décision, lors de son exécution, des effets qu’une décision du même type rendue directement dans l’État membre requis ne produirait pas ». La non-application du délai d’exécution national aux ordonnances étrangères créerait une discrimination à rebours. Les titres étrangers pourraient être exécutés sans limitation de temps, alors que les titres nationaux comparables sont soumis à une contrainte temporelle stricte.

En soumettant l’ordonnance de saisie italienne au même régime que son équivalent allemand, la Cour garantit une parfaite égalité de traitement des titres exécutoires. L’autonomie procédurale de l’État membre requis trouve ici sa pleine justification. Elle permet d’assurer la cohérence de l’ordre juridique national en matière d’exécution forcée. La solution évite ainsi que la libre circulation des décisions ne devienne un instrument de contournement des règles nationales visant à encadrer les mesures d’exécution.

B. La portée de la solution pour la prévisibilité de l’exécution transfrontalière

Au-delà du cas d’espèce, l’arrêt renforce la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs de l’exécution. Les autorités chargées de l’exécution, comme un service de la publicité foncière, peuvent et doivent appliquer les règles procédurales qu’elles maîtrisent. Leur imposer d’appliquer le droit de l’État d’origine représenterait une « charge disproportionnée » et sèmerait la confusion. La solution retenue assure donc la simplicité et la prévisibilité du processus pour les agents de l’exécution.

De plus, la Cour reconnaît la finalité légitime des délais d’exécution pour des mesures conservatoires. Ces mesures sont par nature provisoires et souvent prises dans l’urgence. Un délai d’exécution vise à protéger le débiteur contre une menace d’exécution qui perdurerait indéfiniment malgré un possible changement des circonstances. Cette limitation temporelle est un élément de sécurité juridique qui profite également au débiteur. L’arrêt valide ainsi un juste équilibre entre l’efficacité de l’exécution transfrontalière et la protection des droits des parties.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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