L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 30 avril 2014 s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles des architectes au sein de l’Union. Un ordre professionnel national avait initié un recours en annulation contre un arrêté royal qui dispensait de l’obligation de stage les architectes ressortissants d’autres États membres, pourvu qu’ils soient titulaires d’un diplôme ou d’un titre listé par la législation nationale transposant la directive 2005/36/CE. L’ordre professionnel soutenait que cette dispense générale et automatique était contraire au droit national, lequel n’autorisait une telle dispense qu’à la condition de vérifier l’accomplissement préalable de prestations jugées équivalentes au stage. Face à cette argumentation, la juridiction de renvoi, le Conseil d’État belge, a exprimé des doutes quant à la compatibilité de sa propre législation nationale, qui exigeait un contrôle d’équivalence de l’expérience, avec les objectifs de la directive. La question posée à la Cour était donc de savoir si les articles 21 et 49 de la directive 2005/36/CE, qui organisent un système de reconnaissance automatique pour certains titres de formation d’architecte, s’opposent à ce qu’un État membre d’accueil soumette le titulaire d’un de ces titres à une exigence supplémentaire de stage professionnel ou d’expérience équivalente. À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative, considérant que le mécanisme de reconnaissance automatique instauré par la directive exclut toute condition additionnelle imposée par l’État membre d’accueil. La Cour fonde ainsi sa décision sur une interprétation stricte du principe de reconnaissance automatique (I), dont la portée pratique demeure cependant conditionnée par la correcte application de la directive par les États membres (II).
I. L’affirmation d’un mécanisme de reconnaissance automatique inconditionnel
La Cour de justice réaffirme avec force le principe de la reconnaissance automatique des titres de formation d’architecte (A), ce qui la conduit à rejeter toute possibilité pour les États membres d’imposer des exigences supplémentaires non prévues par la directive (B).
A. La consécration du principe de reconnaissance automatique des titres de formation
La décision de la Cour repose sur le mécanisme central de la directive 2005/36/CE en matière de qualifications d’architecte. Ce système est fondé sur la coordination préalable des conditions minimales de formation au niveau de l’Union, ce qui justifie une reconnaissance mutuelle dépourvue d’examen au cas par cas par l’État membre d’accueil. La Cour rappelle que l’objectif de la directive est de « permettre au titulaire d’une qualification professionnelle lui ouvrant l’accès à une profession réglementée dans son État membre d’origine d’accéder, dans l’État membre d’accueil, à la même profession ». Pour la profession d’architecte, ce principe se traduit par une obligation claire pour l’État d’accueil. Conformément à l’article 21, paragraphe 1, de la directive, chaque État membre doit reconnaître les titres listés à l’annexe V, « en leur donnant, en ce qui concerne l’accès aux activités professionnelles et leur exercice, le même effet sur son territoire qu’aux titres de formation qu’il délivre ». Cette obligation de reconnaissance s’applique également, en vertu de l’article 49, à certains titres plus anciens qui bénéficient de droits acquis, même s’ils ne satisfont pas à toutes les exigences minimales de formation plus récentes. L’automaticité du système repose donc sur une simple vérification : le titre du professionnel migrant figure-t-il dans les annexes pertinentes de la directive ? Si la réponse est positive, la reconnaissance est de droit et doit être totale.
B. Une interprétation littérale excluant toute marge d’appréciation nationale
Forte de ce constat, la Cour conclut logiquement que le système de reconnaissance automatique ne laisse place à aucune appréciation discrétionnaire de la part des autorités de l’État membre d’accueil. Celles-ci ne peuvent imposer de conditions supplémentaires, telles qu’un stage professionnel ou la preuve d’une expérience équivalente. Le raisonnement de la Cour est sans équivoque : « le système de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles prévu […] ne laisse aucune marge d’appréciation aux États membres ». La Cour souligne un point d’évolution important par rapport au droit antérieur, en relevant que la directive 85/384/CEE, désormais abrogée, autorisait un État membre à imposer des conditions de stage complémentaires. La suppression de cette faculté dans la directive 2005/36/CE renforce, selon les juges, le caractère absolu de la reconnaissance automatique. Par conséquent, dès lors qu’un architecte est titulaire d’un titre de formation ou d’un certificat visé par les annexes de la directive, il doit pouvoir exercer sa profession dans un autre État membre sans que ce dernier puisse « lui imposer d’obtenir ou de prouver qu’il a obtenu des qualifications professionnelles supplémentaires ». L’exigence d’un stage, même si elle est imposée aux nationaux, constitue une telle qualification supplémentaire interdite par la directive dans le cadre de ce régime spécifique.
L’interprétation rigoureuse de la Cour consolide ainsi la libre circulation des architectes en s’appuyant sur la confiance mutuelle matérialisée par la coordination des formations. La valeur de cette solution réside dans sa clarté et sa prévisibilité pour les professionnels (II), bien que sa mise en œuvre efficace dépende de la diligence des États membres.
II. La portée d’une solution au service du marché intérieur
La décision de la Cour renforce la libre circulation des professionnels en se fondant sur l’harmonisation des exigences de formation (A), mais elle souligne également, en creux, la responsabilité des États membres dans la bonne application du dispositif (B).
A. Le renforcement de la libre circulation par la coordination des formations
La valeur principale de cet arrêt réside dans sa contribution à l’effectivité de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services pour les architectes. En interdisant à l’État membre d’accueil d’imposer un stage supplémentaire, la Cour garantit que la reconnaissance des qualifications n’est pas un parcours d’obstacles mais une simple formalité administrative. Cette solution est la contrepartie logique de l’harmonisation des conditions minimales de formation prévue à l’article 46 de la directive. Cet article détaille les connaissances et compétences que la formation doit assurer, créant ainsi un socle commun de qualité à travers l’Union. Le système repose sur la présomption que le diplôme, certificat ou titre visé aux annexes atteste de lui-même de la qualification du professionnel. Le réexaminer ou le compléter au niveau national viderait de sa substance le principe de confiance mutuelle sur lequel est bâti le marché intérieur. L’arrêt assure donc une sécurité juridique aux architectes souhaitant exercer leur activité dans un autre État membre, en leur garantissant que leur qualification, reconnue par la directive, sera suffisante pour accéder à la profession dans les mêmes conditions que les nationaux, sans avoir à subir de nouvelles périodes de formation ou d’évaluation de leur expérience.
B. La portée de la solution conditionnée à la correcte transposition des annexes
Si la solution est claire dans son principe, la Cour prend soin d’en délimiter la portée en rappelant que le bon fonctionnement du système dépend de la mise en œuvre rigoureuse de la directive par les États membres. Le mécanisme de reconnaissance automatique ne produit ses pleins effets que si les listes de titres et de certificats figurant aux annexes V et VI de la directive sont correctement et exhaustivement transposées en droit national. La Cour énonce ainsi que « le bon fonctionnement du système de reconnaissance mutuelle automatique prévu par la directive 2005/36 suppose donc que les États membres aient correctement transposé non seulement les articles 21, 46 et 49 de cette directive, mais aussi les annexes V et VI de ladite directive ». Cette précision est essentielle. Elle signifie que si un État membre a omis de mettre à jour sa législation pour y inclure un titre de formation pourtant listé dans les annexes de la directive, le système pourrait être paralysé. L’effectivité du droit à la reconnaissance automatique repose donc, en dernier ressort, sur la diligence des États membres à maintenir leur législation nationale en conformité avec les annexes de la directive, lesquelles sont régulièrement mises à jour. La portée de l’arrêt est donc aussi un rappel à l’ordre adressé aux législateurs nationaux, dont la négligence pourrait faire obstacle à l’exercice des libertés garanties par le traité.