Par un arrêt rendu le 13 juillet 2023, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa neuvième chambre, a précisé les critères d’appréciation du caractère transparent et potentiellement abusif d’une clause de taux d’intérêt variable insérée dans un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur. La question préjudicielle soulevée par une juridiction espagnole portait sur une clause qui indexait le taux d’intérêt sur un indice de référence officiel, établi par une circulaire administrative, tout en y appliquant une majoration.
En l’espèce, des consommateurs avaient souscrit en 2006 un contrat de prêt hypothécaire dont le taux d’intérêt variable était calculé sur la base d’un indice de référence des prêts hypothécaires, majoré d’un faible pourcentage. Cet indice, bien qu’officiel et publié, était critiqué car son mode de calcul intégrait déjà diverses commissions, ce qui le plaçait à un niveau structurellement supérieur aux taux interbancaires classiques. Une autre circulaire administrative, non visée dans le contrat, précisait dans son préambule qu’afin d’aligner cet indice sur les conditions du marché, il serait nécessaire de lui appliquer un différentiel négatif. Les emprunteurs, n’ayant pas été informés de cette particularité, ont saisi la justice pour faire constater le caractère abusif de la clause.
La juridiction nationale, constatant l’absence d’information sur la nécessité d’appliquer un différentiel négatif, s’est interrogée sur la conformité de cette pratique avec le droit de l’Union. Elle a donc posé à la Cour de justice une série de questions visant à déterminer si l’omission de cette information, contenue dans un document externe au contrat mais émanant du régulateur, pouvait affecter la transparence de la clause et justifier sa qualification d’abusive au sens de la directive 93/13/CEE.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait ainsi à déterminer dans quelle mesure des informations contenues dans un acte réglementaire distinct du contrat, mais essentielles à la compréhension des conséquences économiques d’un indice de référence, doivent être prises en compte par le juge national pour évaluer la transparence et le caractère abusif d’une clause d’indexation.
La Cour de justice répond que, pour apprécier la transparence et le caractère potentiellement abusif d’une telle clause, il est pertinent de tenir compte de « la teneur des informations contenues dans une autre circulaire, faisant état de la nécessité d’appliquer à cet indice, compte tenu de son mode de calcul, un différentiel négatif en vue d’aligner ce taux d’intérêt sur le taux du marché ». Elle ajoute qu’il est également pertinent d’examiner si ces informations étaient « suffisamment accessibles pour un consommateur moyen ». Cette solution confirme que l’exigence de transparence dépasse la simple lettre du contrat pour englober les éléments contextuels indispensables à la prise de décision éclairée du consommateur, renforçant ainsi le contrôle judiciaire sur l’équilibre contractuel.
L’analyse de la décision révèle d’abord une conception extensive de l’exigence de transparence, qui s’étend à des informations contextuelles déterminantes pour le consommateur (I). Par conséquent, cette approche a pour effet de renforcer les outils à la disposition du juge national pour contrôler le caractère abusif de la clause (II).
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I. L’exigence de transparence étendue à l’information contextuelle de l’indice de référence
La Cour de justice établit que l’obligation de transparence qui pèse sur le professionnel ne se limite pas aux seules stipulations contractuelles. Elle affirme ainsi la pertinence d’une information externe à la clause pour évaluer sa clarté (A) et confie au juge national le soin d’apprécier le caractère accessible de cette information pour le consommateur (B).
A. La pertinence d’une information externe à la clause contractuelle
Le raisonnement de la Cour repose sur une interprétation large de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13. Pour qu’une clause soit jugée claire et compréhensible, le consommateur doit être en mesure d’évaluer les conséquences économiques qui en découlent. Dans le cas d’un taux variable indexé, cela inclut une compréhension effective du fonctionnement de l’indice de référence.
En l’espèce, l’information cruciale sur la nécessité d’appliquer un différentiel négatif ne figurait pas dans le contrat, ni même dans la circulaire établissant l’indice, mais dans le préambule d’une circulaire modificative. La Cour considère néanmoins que cette information est pertinente pour l’appréciation de la transparence. Elle estime que l’information selon laquelle l’indice de référence, de par sa construction, se situe à un niveau supérieur aux taux du marché, constitue un élément essentiel. Sans cette information, le consommateur ne peut comprendre que l’application d’une faible majoration positive aboutit en réalité à un coût du crédit plus élevé que celui d’autres prêts. L’arrêt souligne donc que le professionnel ne saurait se retrancher derrière le caractère officiel d’un indice pour s’abstenir de fournir des explications fondamentales sur son fonctionnement économique réel.
B. L’accessibilité de l’information comme critère d’appréciation pour le juge national
La Cour module toutefois sa position en introduisant le critère de l’accessibilité de l’information. Si la teneur de la circulaire externe est jugée pertinente, son opposabilité au consommateur dépend de la facilité avec laquelle celui-ci pouvait y accéder. Le simple fait qu’une information soit publiée dans un journal officiel ne suffit pas à la rendre accessible.
La Cour invite le juge national à vérifier concrètement si un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, pouvait prendre connaissance de ces informations. Elle suggère qu’une information est inaccessible si son obtention suppose « l’accomplissement d’une démarche qui, relevant déjà de la recherche juridique, ne pouvait être raisonnablement attendue d’un consommateur moyen ». Cette précision est capitale, car elle reconnaît l’asymétrie d’information persistante entre le professionnel et le consommateur, même face à des données publiques. La charge de la preuve de l’accessibilité et de la clarté de l’information incombe donc indirectement au professionnel.
Cette approche pragmatique confère au juge national un pouvoir d’appréciation concret, lui permettant de sanctionner une clause lorsque l’information, bien que publiquement disponible, est en pratique hors de portée du consommateur. En liant la transparence à une accessibilité effective, la Cour renforce la protection du consommateur contre des montages contractuels opaques.
II. Le renforcement du contrôle du caractère abusif de la clause
En faisant de l’information contextuelle un élément clé de la transparence, la Cour de justice fournit au juge national un levier pour apprécier plus rigoureusement le caractère abusif de la clause. Le défaut de transparence devient ainsi un indice majeur du déséquilibre significatif (A), ce qui élargit la portée du contrôle judiciaire sur les clauses d’indexation (B).
A. Le défaut de transparence comme indice du déséquilibre significatif
Selon une jurisprudence constante, le manque de transparence d’une clause est un élément important dans l’appréciation de son caractère abusif au sens de l’article 3 de la directive 93/13. L’arrêt du 13 juillet 2023 s’inscrit dans cette ligne en liant étroitement les deux notions. Le fait pour un professionnel de taire une information aussi déterminante que la nécessité d’un différentiel négatif pour aligner un taux sur le marché peut difficilement être compatible avec l’exigence de bonne foi.
Le professionnel, en traitant de manière loyale, ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le consommateur accepte une telle clause s’il en avait compris la portée économique réelle. Le déséquilibre significatif au détriment du consommateur réside ici dans la structure même de la clause. Celle-ci le place dans une situation juridique et financière moins favorable que celle à laquelle il pouvait légitimement s’attendre, créant une distorsion entre l’apparence d’une offre avantageuse (faible majoration) et la réalité d’un coût du crédit élevé. De plus, la Cour invite à examiner si d’autres clauses du contrat, telles que celles relatives aux commissions, ne créent pas un risque de double rémunération, renforçant encore le déséquilibre.
B. La portée de la décision sur l’appréciation des clauses d’indexation
La portée de cet arrêt est significative pour l’ensemble des contrats de prêt à taux variable. La Cour affirme que le caractère officiel et réglementaire d’un indice de référence ne le soustrait pas au contrôle de transparence et d’abusivité. Elle refuse une approche formaliste qui s’arrêterait à la légalité de l’indice pour imposer une analyse substantielle de ses effets concrets pour le consommateur.
Cette décision incite ainsi les juridictions nationales à un contrôle plus approfondi des clauses d’indexation, y compris lorsque celles-ci reposent sur des références publiques. Elle oblige les professionnels à une diligence accrue dans leur devoir d’information précontractuelle. Ils ne peuvent plus se contenter de renvoyer à des textes réglementaires complexes, mais doivent fournir une explication claire et intelligible du mécanisme de fixation du taux et de ses implications financières. L’arrêt du 13 juillet 2023 constitue donc une nouvelle étape dans la protection des consommateurs, en favorisant une appréciation économique réelle de l’équilibre contractuel plutôt qu’une validation purement formelle des clauses.